C’est un fait, l’histoire militaire des dom-tom est un sujet trop peu couvert des historiens contemporains et, encore aujourd’hui, bien des aspects demeurent vierges de toute étude. Mais il faut relativiser, car les récents travaux des historiens Sabine Andrivon-Milton (Lettres de Poilus Martiniquais, Le Livre d’or des soldats martiniquais morts pendant la Grande Guerre, etc.) ; Jean-Christophe Teva Shigetomi (Tamari’i volontaires) ; Frédéric Pineau (Les Antillais et la Guyane au combat, 1940-1945 in La Caraïbe dans l’histoire militaire de la France, etc.), ou encore ceux du canadien René Chartrand pour l’époque Moderne et l’Empire, donnent désormais une vision renouvelée et bien réelle de l’effort de guerre des îliens lors des deux derniers conflits mondiaux.
Pour autant, les îliennes peinent à retrouver la place qui fut la leur pendant les deux conflits mondiaux de 1914-1918 et de 1939-1945. En effet, à l’exemple de la métropole, l’histoire militaire des colonies c’est écrite au masculin pluriel mais singulièrement sans les femmes. Présentes en très petit nombre durant la Grande Guerre, elles sont plus d’un millier issues de Nouvelle-Calédonie, de Polynésie, de Martinique, de Guadeloupe, de Guyane, de Saint-Pierre-et-Miquelon, de Madagascar, de La Réunion, à s’engager dans les trois armées de terre, de mer et de l’air ou dans d’autres organisations comme la Croix-Rouge française. Ce chiffre déjà élevé, proportionnellement à la population de ces territoires, ne tient pas compte des milliers de femmes en provenance d’AFN (Maroc, Tunisie, Algérie), d’Afrique noire, ainsi que de Syrie et du Liban.
L’ignorance a laissé place à une mémoire effacée. Aussi, les témoins disparaissent les uns après les autres et nous privent d’un témoignage vivant sur l’engagement patriotique des Françaises venues des quatre coins de ce que l’on appelait alors l’Empire colonial. Mais tout n’est pas perdu. Une poignée d’entre elles a souhaité transmettre une part d’histoire, un morceau de jeunesse, des bribes de souvenirs. Trop peu nombreux, malheureusement, voici une poignée de récits publiés des années 1970 aux années 2000 qui, nous l’espérons, vous éclaireront sur une période pas si lointaine et vous donneront l’envie d’aller plus loin.
Le « corps féminin », de Raymonde Teyssier-Jore, paru en 1975 aux éditions France-Empire, nous mène jusqu’en Nouvelle-Calédonie où l’auteur s’engage à la France libre lors du ralliement de l’île en 1941.
Elles seront deux à rejoindre Londres pour représenter symboliquement leur île. Le « corps féminin » raconte ce périple qui à terme les mènera dans cette France métropolitaine qu’elles n’ont jamais vue si ce n’est en photo.
Les volontaires de l’océan Indien membres du 431e bataillon médical colonial, seule unité féminine constituée intégralement de Réunionnaises et de Malgaches à avoir participé aux campagnes de France et d’Allemagne nous ont, quant à elles, transmis deux ouvrages et une brochure : Sous le signe de l’as de coeur, Denise Roger-Ranarivelo ; Marguerite Jauzelon et Jehanne-Emmanuelle Monnier, De la Réunion à l’Allemagne, 1939-1945 : le périple d’une ambulancière et d’un résistant ; enfin, Les Volontaires de l’île de La Réunion dans le Bulletin annuel des anciens combattants et victimes de guerre de La Réunion.
Edité par Surya éditions (La Réunion) en 2009, De La Réunion à l’Allemagne, 1939-45 relate le destin croisé, singulier, de deux Réunionnais pendant la seconde guerre mondiale, une femme et un homme. La sortie de ce livre est passée totalement inaperçue en métropole, tout comme celui de Denise Roger d’ailleurs, pourtant publié à Paris en 2007.
Le premier chapitre se consacre aux pérégrinations de Marguerite Jauzelon, son engagement, en 1943, dans les rangs de la France combattante à La Réunion ; ses passages par Madagascar, l’Afrique du nord, la Corse ; ses campagnes de France et d’Allemagne, et enfin l’émouvante découverte d’une métropole qu’elle ne connait pas. L’ouvrage de Denise Roger est plus complet, plus agréable à lire et permet de suivre de bout en bout ces parcours de guerre extraordinaires à la différence prêt que Denise est née en métropole et qu’elle y a grandi avant de suivre son père nommé comme directeur des PTT à Madagascar en 1938.
Les Antilles françaises malgré un important contingent d’AFAT (Auxiliaires féminines de l’armée de terre) n’ont pratiquement pas de littérature sur ce sujet.
Seul Une Martiniquaise sous le drapeau de Louise Locquet-Bellemare retrace le parcours intime d’une jeune engagée peu de temps après la fin de la deuxième guerre mondiale ; sa découverte du Paris des année 40 comme de la vie militaire puis son départ pour l’Indochine en guerre.
Ces écrits ne permettent pas de cerner complètement la façon dont se fit l’engagement des îliennes. Pour exemple, la vie des volontaires restées dans les îles demeure encore aujourd’hui très obscure. Notons à ce sujet que l’ouvrage Femmes en guerre 1940-1946, paru en 2013 aux éditions ETAI, aborde cet aspect pour la Martinique et fournit une synthèse des engagements féminins en provenance des îles, mais aussi, d’AFN, d’AOF, d’AEF, de Syrie et du Liban.
Ces livres sont presque tous épuisés et introuvables aujourd’hui même les plus récents sortis respectivement en 2007 et 2009. Seul Le « corps féminin » se trouve encore sur le marché du livre d’occasion, et Femmes en guerre (éditions ETAI) est toujours disponible sur les sites de vente en ligne.
Frédéric Pineau
femmesuniforme6@gmail.com
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