Marylin SEPHOCLE

Marylin SEPHOCLE

« Une femme de combats « 

marylin_sephocle_portrait Marylin SEPHOCLE

Entretien et portrait par Laetitia Fernandez

Crédit photo : Howard University

 

Marylin Sephocle est une femme de combats. Originaire de la Martinique, elle est venue aux Etats-Unis à l’âge de 16 ans poursuivre ses études et y est restée.  Cette femme hors du commun parle 9 langues, dirige le département de langues à Howard University, la « Harvard noire » des Etats-Unis. Depuis trente ans, elle se bat sur plusieurs fronts : elle a consacré l’essentiel de ses  travaux universitaires aux Afro-allemands, créé en 1995 la Women Ambassadors Fondation qui rassemble les femmes ambassadeurs aux Etats-Unis et est  très investie aux côtés des démocrates.

Vous dirigez le département de langues de Howard University, pouvez vous nous parler de la « Harvard noire » des Etats-Unis ?

L’université de Howard fut fondée par le général blanc Oliver Otis Howard (1) qui avait épousé la cause des noirs américains pendant la guerre de Sécession. C’était en 1867. Il voulait une Université pour ceux qui venaient d’obtenir leur liberté. L’université s’est très vite dotée d’une école de droit et de médecine. Le département de droit  a formé dans les années 50 et 60 la plupart des avocats qui descendaient dans le sud défendre les droits civiques des Afro-américains.

Aujourd’hui, 45 professeurs enseignent 14 langues aussi diverses que le coréen, le oualof, le haoussa et le créole haïtien.  J’enseigne l’allemand et l’apport dans le monde de l’Afro-allemand. En 2012, le défi est de taille : nous sommes  dans une ère de technologies avancées qu’il faut intégrer dans les cours et nous devons être en mesure de pouvoir offrir des débouchés à nos étudiants. Ce sont eux les interprètes et traducteurs de demain !

De nombreuses figures afro américaines et africaines ont fait leurs études à l’université : le révérend Jesse Jackson(2), le futur président de la Zambie Kenneth Kaunda(3), les filles du président Nelson Mandela.

Des femmes de l’outremer sont également passées par l’université Françoise Pfaff, d’origine guadeloupéenne, y enseigne aujourd’hui le français et certaines ont rejoint  l’ambassade de France et l’administration de Howard University. George Paul Angevin (l’actuelle ministre  déléguée à la réussite éducative) et  Christiane Taubira (ministre de la justice) sont également venues à Howard University.

Racontez nous votre parcours, de la Martinique à Washington et à Howard University?

Je suis originaire de la Martinique. Je suis arrivée en 1978 avec tout juste mon bac en poche. Je devais rester une année perfectionner mon anglais et cela fait plus de trente ans que je suis là ! A l’époque j’avais à peine 16 ans. J’ai intégré New York University, puis je me suis présentée à un concours d’allemand organisé par une fondation allemande. Celui qui arrivait premier obtenait une bourse pour poursuivre ses études jusqu’au doctorat. J’ai eu la chance de remporter le premier prix. En même temps je travaillais comme guide interprète aux Nations Unies. Comme j’étais fascinée par la ville de Washington, je suis arrivée à Howard University qui cherchait alors un professeur d’allemand. Je terminais mon doctorat  et c’est comme cela que  je me suis installée à Washington !

Je retourne une fois par an en Martinique où j’effectue des séjours prolongés pour me ressourcer, reprendre contact avec la famille et prendre la température de ce qui se passe dans le pays.

Quelle est votre expérience de  femme martiniquaise  aux Etats-Unis ?

Ce n’est jamais aisé, quel que soit l’endroit où l’on s’installe. Il faut faire preuve de souplesse,  de flexibilité, d’adaptation. Rien n’est acquis. Tout en préservant son identité, il faut aller vers l’autre, comprendre  sa culture, sans à priori. .Ce qui me plait avant tout aux Etats-Unis, c’est le « this can do attitude », un comportement qui vise surtout à voir les possibilités de chacun alors que dans d’autres pays on voit essentiellement les obstacles. Dans une telle atmosphère on peut imaginer, être créatif, se dépasser continuellement.

En arrivant, je me suis très vite confrontée à la culture noire américaine. Il a fallu aller au delà de ce que j’avais appris dans les livres afin d’essayer de comprendre les expressions, la sociologie, l’histoire, la culture.  Rapidement, j’ai constaté les similitudes entre ma culture et celle des Afro-américains. A tel point que j’ai parfois l’impression d’être à Fort de France à Washington ! Je rencontre beaucoup de personnes qui ressemblent à des parents de la Martinique. Quant à l’art culinaire afro-américain, il est très proche de celui que l’on trouve en Martinique. « La soul food » en Louisiane rappelle beaucoup le court bouillon  martiniquais! Les épices, les ingrédients utilisés sont les mêmes.

L’histoire est différente mais nous avons un  passé commun, celui  de personnes réduites à l’esclavage. Quant aux femmes afro-américaines, elles  rencontrent les mêmes embuches qu’une Antillaise noire à Paris ou en Europe, les mêmes difficultés  pour trouver un appartement,…

Les Etats-Unis ont tout de même une spécificité supplémentaire, les lois Jim Crow qui ont terrorisé le peuple noir dans le sud des Etats Unis jusqu’en 1964. Je me suis rendue l’année dernière pour la première fois dans le Tennesse et j’ai appris beaucoup sur l’histoire  difficile des Afro-américains.

Les traces de cette histoire douloureuse sont omniprésentes aux Etats-Unis. A Washington par exemple, le toit du capitole a été refait plusieurs fois : l’un des architectes avait voulu y mettre un esclave romain libre, or à l’époque, l’esclavage existait encore aux Etats-Unis et un certain nombre de députés on refusé le symbole !

Vous a-t-il été difficile de vous imposer dans le milieu universitaire?

J’apporte la dimension afro allemande.  J’ai travaillé sur des figures noires importantes en Allemagne au 18ème et au 19 ème siècle, notamment celle d’ Anton Wilhelm Amo(4) . En 1704, cet homme originaire du Ghana été présenté au duc de Brunswick-Wolfenbüttel qui a décidé de le prendre en charge et de l’éduquer,  à titre d’expérimentation sociale. Non seulement il a excellé mais il a obtenu plusieurs doctorats !  C’est cela que j’enseigne dans mes classes, l’apport afro allemand.

Ma thèse de doctorat portait sur la façon dont la négritude (le mouvement fondé par Léon Gontran Damas, Aimé Césaire et Léopold Senghor) a été perçue en Allemagne. Les Allemands mettaient l’accent sur l’aspect social de la négritude alors que les Français s’intéressaient à la dimension esthétique du mouvement. Je m’intéresse également à l’époque contemporaine, aux Noirs vivant aujourd’hui en Allemagne, et je continue à publier. A la fin des années 80, nous étions des pionniers avec le docteur Hopkins et le docteur Hodges à nous intéresser à l’Afro-allemand. Puis, j’ai commencé à faire des interventions sur le thème à l’ambassade allemande à Washington, j’ai rencontré des membres du Bundestag et le sujet a commencé à prendre de l’ampleur.

Comment et pourquoi est née la Women Ambassadors Fondation en 1995 ?

Comme je vous le disais, j’ai travaillé pendant 4 ans aux Nations Unies. Chaque fois que je me remémorais la grande salle de l’institution, j’avais devant moi l’image d’un océan de costumes d’hommes. Et puis, dans cet océan, sur le banc des suppléants,  de temps en temps une femme. Il fallait que cet état des choses change et j’ai décidé d’apporter ma petite pierre à l’édifice. J’ai commencé à recenser le nombre de femmes ambassadeurs. En 1995, elles se comptaient sur les doigts d’une main ! Seulement 5 femmes  ambassadeurs !

J’ai rassemblé ces cinq femmes à Howard University. Le Washington Post a écrit un article relatant l’épisode et deux ans plus tard Hilary Clinton  s’est enthousiasmée pour la cause. Chaque année, j’écrivais à chaque chef d’état en lui demandant d’envoyer des femmes ambassadeurs. Beaucoup ne répondaient pas mais d’autres ont envoyé deux femmes l’une après l’autre  comme l’Afrique du Sud.  Trinidad et Tobago a envoyé jusqu’à trois femmes d’affilée ! Aujourd’hui, les femmes ambassadeurs sont au nombre de 27 et de plus en plus les femmes s’affirment sur la scène internationale.

Chaque année, avec des femmes députées et  membres du congrès, j’organise une conférence rassemblant ces femmes. Elles interviennent sur différents thèmes : l’éducation, le maintien de la paix.  En 2012 la conférence a porté sur la crise financière. Le regard des femmes sur la gestion  de la crise est très différent de celui des hommes. Les femmes ambassadeurs viennent à l’université et au Congrès, côtoient  le monde académique, la société civile. La Fondation est un espace d’échanges et de rencontres.  Elle intervient aussi à l’occasion d’événements dramatiques : lors du conflit en Côte d’Ivoire, nous avons fourni des chaises roulantes, après le tremblement de terre en Haïti, nous avons envoyé des interprètes traducteurs bénévoles.

En créant la Fondation, l’objectif était d’inciter les jeunes femmes à embrasser une carrière dans la diplomatie. En l’an 2000, j’ai écrit un livre à propos de ces femmes ambassadeurs «  Then they were twelve. ». Aujourd’hui, nous sommes soutenues par les Universités, la députée Eddie Bernice Johnson, Madeleine Albright et Hillary Clinton

Y a t il une spécificité de la diplomatie exercée par des femmes ?

Elles ne sont pas encore suffisamment nombreuses. Afin de voir émerger une vraie différence, il faudrait arriver à  ce que les américains appellent « une masse critique ». Beaucoup sont encore dans le moule des hommes qui les ont précédées. Mais au fur et à mesure que leur nombre augmente, on remarque que les ambassades tenues par des femmes  sont plus ouvertes, davantage prêtes aux échanges et au dialogue. Leur nombre grandissant a également changé certaines pratiques et bousculé les mentalités.

Il a fallu redéfinir la place du conjoint, en l’occurrence du mari. Au départ le département d’Etat à Washington était pris au dépourvu. Tout ce qui avait été prévu pour  les femmes d’ambassadeurs (arrangements de fleurs, thés) n’allait plus. Les maris refusaient ces tâches !  Il a fallu réinventer le rôle du conjoint, voir quelles étaient les activités qui permettraient aux hommes de s’épanouir.  Les arrangements de fleurs et les thés ont cédé la place au golf et autres réunions masculines!

On observe des progrès  mais il y a encore des freins, des obstacles culturels. Ainsi cette femme ambassadeur de la RDC qui s’est heurtée au départ à d’importantes  résistances.  Le pays était en guerre, il fallait un homme ! Depuis 1998, elle acquis une telle expérience que le gouvernement ne peut plus se passer d’elle !

Qu’en est il de votre engagement auprès des démocrates ?

J’ai commencé à m’engager auprès des démocrates en 1991. A l’époque,  le candidat Clinton et l’atmosphère très détendue qui régnait autour de lui me fascinaient. Il nous offrait des pizzas, on rigolait beaucoup, il était toujours d’excellente humeur.  Comme j’étais sur le point d’être naturalisée, il m’a prise à part en me disant « Ici, on est de toutes origines, de toutes nationalités. » Il m’a serré la main en me disant : « viens avec nous ! ». Je me souviens avoir écrit  à mes parents que je soutenais le candidat,  mais que je ne pensais pas qu’il allait gagner ! Et voilà comment j’ai commencé ma longue route aux côtés des démocrates.  Cette année, j’ai été  très active dans la campagne de Barack Obama, notamment aux cotés de la première dame, Michelle Obama. Il fallait mobiliser les donateurs, organiser des groupes d‘étudiants, des petits-déjeuners etc.

Pour conclure, que pensez-vous de l’existence et de l’action de Femmes Au-delà des Mers ?

C’est une initiative très heureuse. Les femmes de l’outremer travaillent trop souvent dans l’ombre. Elles sont encore trop peu nombreuses présentes à de hauts niveaux politiques. Heureusement, il y a aujourd’hui  en France  Christiane Taubira et George Pau-Langevin.  Ce n’est qu’un début !

(1)Oliver Otis Howard( 8 novembre 1830-26 octobre 1909) : général de l’Armée de l’Union durant la guerre de Sécession. Il est à l’origine de Howard University qu’il présida de 1869 à 1874.

(2)Jesse Jackson : né en 1941 dans l’état de Caroline du Sud, le révérend noir américain  est engagé depuis toujours auprès des Afro-américains. Il a été le premier noir américain à remporter une primaire du parti démocrate.

(3)Kenneth Kaunda : premier président de la République de Zambie de 1964 à 1991. On l’a surnommé le Gandhi africain.

(4)Anton Wilhelm Amo : né au Ghana en 1703, philosophe, il est probablement la première personne originaire d’Afrique subsaharienne à avoir étudié dans une université européenne.

(5)Les lois Jim Crow

Les lois Jim Crow sont une série de lois promulguées  dans les États du sud des États-Unis  au XIXe siècle destinées à restreindre les droits accordés aux anciens esclaves après la guerre de Sécession. Les plus importantes introduisaient la ségrégation dans les écoles et les équipements publics, y compris les trains et les bus. La ségrégation scolaire a été déclarée inconstitutionnelle par la Cour suprême des États-Unis en 1954 et les autres Lois Jim Crow ont été abolies par le Civil Rights Act de 1964.

 

Site : www.womenambassadors.com 

 

Bibliographie

Sephocle Marylin, “Then there were twelve”, Greenwood Publishing Group, 2000 – 218 pages. 

Janvier 2013

FAM

1 commentaire pour l’instant

Lola Publié le17 h 02 min - 22 mars 2015

Magnifique portrait de cette martiniquaise battante. Une femme extraordinaire, bravo madame
Lola

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