Bernadette PAPILIO

Bernadette PAPILIO

« Se découvrir Française à travers le regard de l’Autre »

berndatte_papilio Bernadette PAPILIO

Entretien et portrait par SUE Maire

Née à Wallis-et-Futuna,mère de cinq enfants (âgé de 16 ans à 24 ans), Bernadette PAPILIO a traversé les mers dès son plus jeune âge avec ses parents, puis a étudié en Nouvelle-Zélande, en France et en Angleterre. Enseignante pendant un temps à Dakar, elle officie ensuite durant six ans au sein de la Communauté du Pacifique Sud à Nouméa. Enfin, elle retourne à Wallis-et-Futuna où elle s’investit en politique et est aujourd’hui Chef du service de la Culture de Wallis-et-Futuna.

Des études internationales

Après avoir suivi l’école primaire à Wallis, c’est en Nouvelle-Calédonie, à Bourail, qu’elle poursuit son secondaire et passe son bac au Lycée Blaise Pascal à Nouméa.

Jeune bachelière, elle part en France et s’inscrit, à l’Université Lyon III, en Lettres Modernes et en Anglais. Elle séjourne ensuite un an en Angleterre en tant qu’assistante de français, puis part enseigner deux ans à Dakar.

C’est son intérêt pour la mythologie nigérienne qui la motive tout d’abord à enseigner en Afrique. Elle l’a étudiée dans son mémoire de fin d’études pour tenter de déceler des points communs avec la mythologie wallisienne.

Elle retourne à Paris en 1984 où elle entreprend un second mémoire sur «La Société polynésienne lors de la mutinerie de la Bounty». Elle y reste un an pour terminer ses études avant de retourner à Wallis-et-Futuna.

Etre française : une découverte

C’est lors d’un séjour linguistique en Nouvelle-Zélande, après le bac, qu’elle se découvre française dans un environnement polynésien. Alors qu’elle réside dans un foyer pour jeunes filles originaires de tout le Pacifique Sud, elle ne se trouve aucun point commun avec les autres du fait de leur héritage culturel anglo-saxon. Bernadette découvre à ce moment que, malgré ses racines et sa culture polynésienne, son éducation la démarque.

« Ces filles et moi étions toutes de cultures polynésiennes et nous nous retrouvions sur ce point. Mais pour ce qui relevait des habitudes de vie et de pensée, j’ai compris que j’avais grandi «à la française». Je me suis alors dit qu’on devient «bi-culturel» lorsqu’on entre à l’école. Il y a deux femmes en moi : la femme polynésienne et la femme française.»

Le statut de la femme en Océanie

A Nouméa, afin de garder un bon niveau d’anglais, elle postule à la Communauté du Pacifique Sud (CPS), organisation régionale à but non lucratif, où elle prend ses fonctions au Bureau des Femmes, en charge des projets de développement pour les femmes francophones ainsi que pour les  anglophones. Elle y reste six ans et en conserve d’excellents souvenirs:

«Les projets de développement étaient très enrichissants. J’y ai rencontré des femmes venant de tout le Pacifique, des francophones aussi bien que des anglophones, ayant des perspectives différentes».

Elle comprend aussi que les problèmes de la femme en Océanie sont différents en Polynésie et en Mélanésie.

«Nous sommes entrés dans la globalisation avec tout ce que cela engendre mais la répartition des rôles entre hommes et femmes ne change pas, surtout en Mélanésie, comparable à l’Afrique. Cette répartition s’accommode d’ailleurs des coutumes et de la tradition. J’ai remarqué, là-encore, une différence entre les territoires français et les pays anglo-saxons indépendants. Les territoires français sont régis par les lois françaises où les discriminations contre les femmes sont interdites, ce qui n’est pas le cas dans les petites îles indépendantes du Pacifique Sud, surtout mélanésiennes. Les femmes de ces pays sont donc plus combatives et plus virulentes pour atteindre ces droits alors que les femmes françaises les considèrent comme acquis.»

Son combat pour les femmes

Son investissement pour les femmes ne se manifeste que tard dans sa carrière, son passage à la CPS étant le principal moteur. Elle s’y engage alors avec ferveur car elle se souvient du souhait de son père; il voulait que ses filles reçoivent une éducation à une époque où cela se faisait peu.

Après son départ de la CPS, elle rentre à Wallis et devient chargée d’affaires régionales à l’Assemblée Territoriale de Wallis-et-Futuna. Pour contrer la représentation quasi-nulle des femmes à l’Assemblée, elle se présente en 1998 aux élections et remporte tout de même un siège alors que sa liste n’est composée que de femmes. Son combat continue en 2006 lorsqu’elle est nommée, contre toute attente, chef de service de la Culture alors qu’elle est la seule femme sur cinq candidats, dans un domaine considéré à Wallis comme masculin.

QUESTIONS

Quel est le rôle de la femme en Outre-mer ?

La femme est le moteur du développement. Les femmes océaniennes sont encore ancrées dans leur culture et leurs valeurs, grâce auxquelles elles savent faire la part des choses. Elles ne se précipitent pas dans l’artifice du modernisme et du consumérisme. C’est ce qui fait leur force.

Quand j’assiste à des réunions internationales, j’entends des expressions toutes faites qui veulent catégoriser les gens et leurs expériences dans des stéréotypes. La vie moderne ne s’enracine pas dans les communautés et les valeurs pour leur redonner du cœur et de l’âme.

Ce qui me fait peur, c’est que la course à la modernité rattrape les Océaniens. Nous risquons de perdre notre humanité, alors que tous les échanges et les pratiques coutumières ramènent à la réalité qu’est la communauté. D’ailleurs, ce n’est qu’à partir du moment où on est authentique qu’on peut enrichir les autres et vice-versa. Ce n’est pas parce que nous sommes insulaires et d’Outre-mer que nous n’avons rien à apporter.

Qu’est-ce que c’est qu’être océanienne ?

Simplicité, partage, rire. Spontanéité serait peut-être le meilleur terme. J’ai connu ça en Afrique, nous avons des points communs mais la spécificité musulmane nous éloigne. J’avais beaucoup d’amies «deuxième femme». En Océanie, nous sommes tous chrétiens.

Qu’est-ce qu’être femme et quel rôle jouons-nous, d’après vous, dans la société ?

Maman, épouse et en tant que telles nous contribuons à la société. J’entends par là qu’on joue un rôle là où on est. On a toujours quelque chose à apporter là où on est.

Parlez-nous de ce qui, selon vous, constitue un élément de votre patrimoine unique et privé ?

Je viens d’une famille croyante et traditionnelle; la foi et les valeurs traditionnelles sont certains des apports majeurs qui m’ont été transmis. C’était pour moi un grand appui dans ma vie. Je donne pour exemple de valeurs traditionnelles le respect d’autrui et le partage. C’est tout simplement faire à l’autre ce que j’aimerais que l’on me fasse. Petite anecdote: quand je suis arrivée en France, je me suis fait envoyer paître quand j’ai dit bonjour à un homme dans l’ascenseur. Il m’a dit : «on se connait ? »

Qu’est-ce qui a été déterminant dans votre parcours?

Mon parcours est une longue suite d’étapes. Ce qui est arrivé après a été déterminé par ce qu’il y a eu avant. Il n’y a pas eu une étape plus déterminante qu’une autre mais chacune a préparé la suivante.

Janvier 2012

FAM

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