Vendredi 17 octobre 2008, Gisèle Bourquin a rendu hommage à Aimé Césaire à la Sorbonne, dans le cadre de Français et Algériens Art, mémoires et histoire.
Hommage à Aimé césaire
17 octobre 2008
La Sorbonne
Vous m’avez demandé, dans le cadre d’Art, Mémoires et Histoire, d’intervenir sur un homme que j’ai personnellement connu et qui a marqué mon itinéraire, Aimé Césaire.
Le lieu que vous avez choisi est des plus appropriés : dans le quartier Latin, près du lycée Louis le Grand, la rue d’Ulm, la Montagne Sainte Geneviève, le Panthéon où il aurait pu reposer,… à la Sorbonne ! C’est là que s’est affirmée la pensée de Césaire, au contact d’une jeunesse bouillonnante qui allait influencer les lettres, les arts et l’action politique.
En effet, c’est à la Sorbonne que s’est tenu le tout premier congrès des écrivains noirs de langue française organisé par la revue Présence Africaine, en septembre 1957 : l’affirmation identitaire n’était guère de mise ! Le titre de la communication de Césaire à ce congrès, « culture et colonisation » contient les thèmes récurrents de son oeuvre.
C’est aussi à la Sorbonne que j’ai rencontré Césaire, mais quelques années plus tard, en 1965.
C’est pour moi le déclenchement d’une prise de conscience devant les faits et le début d’une vigilance soutenue.
A l’époque, le monde du théâtre était en pleine régénération : au Lucernaire se donnait, les Nègres » de Jean Genêt, à Montparnasse le Métro Fantôme de Leroi Jones dénonçait les stéréotypes raciaux, le Palais de Chaillot accueillait Les ancêtres redoublent de férocité de l’algérien Kateb Yacine ; tandis que la Tragédie du Roi Christophe d’Aimé Césaire, jouée à Venise en 1964, allait prendre le chemin de Dakar pour le premier festival des Arts Nègres.
C’est par le théâtre que je rencontre Césaire, à l’occasion de mon travail sur « le thème de la mort dans le théâtre d’Aimé Césaire » L’homme que je sollicite souvent alors est affable, courtois, disponible. Nos rencontres ont lieu dans les locaux de Présence Africaine, lors des répétitions de ses pièces, en compagnie du metteur en scène Jean-Marie Serreau avec lequel Césaire ajuste à l’occasion ses textes jusqu’à la version définitive que nous connaissons. Il me recevait également chez lui, porte Brancion.Cet homme, si véhément sur les bancs de l’Assemblée Nationale, était d’un naturel calme, discret, au sens de l’humour piquant et de la formule imagée. Je me souviens de « Michelle porte sa tête comme le Saint Sacrement » devant l’effet d’un torticolis sur cette enfant.
A 52 ans Césaire bénéficiait d’une très grande aura dans le milieu intellectuel dont je profitais
pleinement. J’ai ainsi pu côtoyer entre autres le célèbre anthropologue Michel Leiris, le poète guyanais Léon Gontran Damas, le fondateur de Présence Africaine Alioune Diop et son équipe , les professeurs Roger Bastide, Jacques Scherrer… et plus généralement, tous ceux et celles qui s’intéressaient aux différentes cultures. C’était le temps de la découverte de la culture négro-africaine, au-delà des clichés.
Rappelons le contexte des années 60 :
En France le problème de la discrimination est encore pudiquement éludé ; toutefois au Copar, l’ancêtre du CROUS en marge d’une offre de location de chambre pour étudiant peut figurer, en clair, la lettre M (traduisons : le propriétaire n’accepte que les métropolitains !)
C’est également l’époque où il était impensable pour moi, d’envisager de ne mettre jamais les pieds en Afrique du Sud.
En 1966 au Palais des Sports s’organise un concert mémorable en l’honneur de Martin Luther King: Il devait être assassiné deux ans plus tard. C’est en 1968 que des athlètes noirs américains aux Jeux Olympiques montent sur le podium et lèvent le poing.
Face aux indépendances africaines qui vont se succéder à partir de 1956, c’est encore la guerre d’Algérie, tout en poursuivant l’exercice de ses mandats politique,Césaire devient tout naturellement plus didactique dans sa création littéraire. De 62 à 69 La Tragédie du Roi Christophe en 1962, une Saison au Congo puis une Tempête, une trilogie qui couvre tout un monde les Antilles, l’Afrique, les Etats-Unis. C’est bien dans le théâtre que son engagement et son art poétique vont fusionner :
Dans La Tragédie, il met en scène le Roi Christophe, roi de la première République d’Haïti,
il met en garde les anciens colonisés contre la reproduction du schéma précédent. Dans la Saison au Congo, il colle davantage à l’histoire récente, l’indépendance du Congo Belge, et montre les rivalités intestines, les rapports ambigus avec l’ancienne puissance coloniale.
Pour Une Tempête, inspirée directement de La Tempête de Shakespeare, l’action se passe aux Etats-Unis : Césaire inverse les rôles : Caliban est un être qui revendique son identité et par la même sa dignité, Prospero n’est plus ici le bon magicien !
Notons d’ailleurs que la pièce « Et les chiens se taisaient… », oratorio lyrique paru dans Les
Armes Miraculeuses en 1946, se déroule aux Antilles est comme un préambule à ce triptyque. Le Rebelle esclave déterminé à poser un acte fort est le personnage le plus proche de l’auteur.
Identité, colonisation, aliénation, émancipation, indépendance, liberté … thèmes présents dans ses pièces, comme dans ses écrits précédents. A 23 ans, dans le Cahier du Retour au Pays Natal , il s’écrie « je parle de millions d’hommes à qui on a inculqué savamment la peur, le complexe d’infériorité, le tremblement, l’agenouillement, le désespoir, le larbinisme ».
Un autre Martiniquais le psychiatre Franz Fanon, engagé aux cotés du FLN sous le nom de
Colonel Omar fera une analyse psychologique de l’aliénation engendrée par le colonialisme.
Mais Césaire, cet homme de conviction, refuse cependant le jeu du balancier : Il refuse, au
nom d’une démarche positive tournée vers l’avenir, que cette revendication identitaire ne
conduise à la rancoeur et à une confrontation belliqueuse.
Ce qui, à mon sens, fait la grandeur à l’oeuvre de Césaire, c’est que son engagement pour son petit bout d’île s’étend à tous les autres hommes. Pour éviter toute interprétation réductrice de la négritude-ce concept né au lendemain de la guerre ! – cette définition par Césaire est éclairante :
La négritude résulte d’une attitude active et offensive de l’esprit
Elle est sursaut et sursaut de dignité
Elle est refus, je veux dire refus de l’oppression
Elle est combat, je veux dire combat contre l’inégalité
Ce n’est donc pas un repli sur soi, bien au contraire, elle part du particulier vers l’universel.
Faîtes de ma tête une tête de proue et de moi-même, mon coeur, ne faîtes ni un père, ni un
frère, ni un fils, mais père, mais le fils, ni un mari, mais l’amant de cet unique peuple. …..
Mais ce faisant mon coeur aussi bien que mon âme ne faites point de moi cet homme de haine pour qui je n’ai que haine. »
L’oeuvre de Césaire est appréciée hors de nos frontières depuis bien longtemps .Elle est
traduite dans de nombreuses langues : le Persan, le Japonais, l’Allemand, l’Italien. Son
théâtre a été joué à l’étranger avant de l’être en France.
Si Césaire a atteint cette renommée universelle, c’est certes par sa vision et ses idées, mais
aussi par l’originalité et la puissance de sa langue : «j’ai plié le français à mon vouloir dire ».
L’esprit rebelle apparaît ici. Il rompt, dès ses débuts, avec l’académisme et mêle de manière surréaliste la force des mots, à l’impact des images et à la brutalité des sons, il garde cependant son propre style. Le titre « soleil cou coupé », par exemple, aux accents bien créoles, rapprochement insolite entre le soleil et l’image brutale du cou coupé pour
signifier… la mort ! Sa poésie en général ne se laisse pas pénétrer facilement. Mais le
grammairien, a le souci de l’expression juste, qui peut paraître, par moments élitiste, même un peu pédante, en tous cas hors des sentiers battus. Du reste son père avait coutume de dire : « Quand Aimé parle, la grammaire française sourit »
Césaire est une référence : Il touche une mosaïque d’individus à travers le monde. Il s’est
voulu « éveilleur de conscience », rassembleur.
Césaire a tracé la voie. Il lègue une oeuvre exceptionnelle.
Dans sa longue vie active, la traversée d’un siècle presque, certains paramètres ont bougé.
Qui aurait pu prévoir en 1970, que Nelson Mandela, serait à la tête de l’Afrique du Sud ?
Il reste cependant bien du chemin à parcourir !
Césaire nous intime par la voix de Christophe une mission. « Un pas, un autre pas et tenir gagné chaque pas, c’est d’une remontée jamais vue que je vous parle et gare à celui dont le pied flanche ! »
Ma fidélité à son oeuvre, mon opiniâtreté à porter sa parole inlassablement depuis mes études et en toutes occasions (de Téhéran, à Auckland, ou Kisangani) ont été structurantes : je lui dois d’être selon une expression de ma Martinique natale «une femme debout ».
Je réalise combien il est présent tout au long de mon chemin de vie jusqu’à la création de
l’association « Femmes au delà des mers ».
Cet hommage devant cette assemblée est pour moi, un maillon de cette grande chaîne Fraternité, Solidarité, Humanisme à renforcer. Césaire n’a-t-il pas dit : « Notre époque, c’est celle de l’identité retrouvée, celle de la différence reconnue, celle de la différence mutuellement consentie, et, parce que consentie, surmontable en complémentarité, ce qui rend possible, je veux l’espérer, une solidarité et une fraternité nouvelles »
Je suis émue et honorée d’avoir partagé avec vous un vécu, une passion pour l’oeuvre de cet homme de conviction; de combat, de fidélité, Aimé Césaire.
Le 17 octobre 2008 « Aimé CESAIRE, ou le poète de l’universelle fraternité » à la Sorbonne, dans le cadre de la semaine « Français et Algériens : Art, mémoires et histoire ».
Gisèle BOURQUIN
Laisser un commentaire