Pascale Joannot, auteur de la « Cité de corail », docteur en Océanologie, spécialiste du monde corallien, aborde le thème de la diversité récifale et écosystèmes associés lors de la » Visite conférence à l’Aquarium Tropical », Musée de la Porte Dorée.
En juillet 2008, l’UNESCO a inscrit le récif corallien de la Nouvelle Calédonie au patrimoine mondial : il s’agit du premier espace de l’Outre-Mer français inscrit à ce patrimoine.
Invités à visiter l’exposition « Nouvelle-Calédonie – Terre de corail* », organisée par la Maison de la Nouvelle-Calédonie, membres et amis de l’Association Femmes Au-delà des Mers (F.A.M.) ont été accueillis par l’océanographe Pascale Joannot, Commissaire de l’exposition. Ils ne pouvaient espérer meilleur guide que cette grande amoureuse des lagons, des récifs coralliens, mais aussi des îles elles-mêmes et du riche patrimoine culturel des Kanak, leurs habitants les plus anciens.
Au mur de l’escalier menant aux salles d’exposition de l’Aquarium de la Porte Dorée*, se déploie un panoramique du photographe Pierre-Alain Pantz*, centré sur le coeur que dessine la mangrove sur la côte ouest de la Nouvelle-Calédonie. « Un coeur célèbre dans le monde entier », souligne Pascale Joannot. Un coeur qui frappe l’imagination du voyageur qui découvre cette terre pour la première fois par le hublot de l’avion qui le transporte. Un coeur que retrouvent avec émotion ceux de ses compagnons de voyage qui y reviennent et qui guettent son apparition dans le champ de vision que leur offrent les hublots de l’appareil. Ce coeur se découpe sur un paysage dont les couleurs pures se juxtaposent sans se heurter, qu’il s’agisse du « blanc du ruban d’écume qui se brise sur la barrière de corail, des bleus des lagons, du rouge de la terre, des verts de la végétation », rapporte Pascale Joannot dont la spontanéité séduit d’emblée les membres et amis de l’association Femmes Au-delà des Mers venus l’écouter. Il est évident que cette océanographe aime faire partager son intérêt scientifique pour ces terres coralliennes, mais aussi son attachement à ce pays incarné en ce coeur de mangrove, image symbolique qui l’habite, comme cet autre coeur, de corail celui-là, qu’elle a découvert au cours d’une plongée, une anecdote qu’elle charge de sens en la racontant.intertropicale et couvrent environ 284 300 km2, soit à peine plus de la moitié de la surface de la France métropolitaine. Mais ce patrimoine naturel offre un potentiel économique et une source de subsistance à plus de 500 millions d’individus, – soit près de dix fois la population de la France et 8% de la population mondiale – répartis sur une centaine de pays, explique-t-elle en guise de préambule. Par le biais de ses collectivités d’outre – mer situées dans les océans Atlantique, Indien et Pacifique, la France arrive en quatrième position, – derrière l’Indonésie, l’Australie et les Philippines – pour l’importance de ses récifs coralliens. Or 80 % d’entre eux se trouvent en Nouvelle-Calédonie où la Grande-Terre, protégée par un ruban corallien de 1600 km délimitant 23 400 km2 de lagons, constitue à elle seule le deuxième ensemble récifal de la planète après la Grande Barrière Australienne, expose Pascale Joannot avant de préciser que toutes ces données et bien d’autres encore se trouvent consignées dans le catalogue de l’exposition dont elle est l’auteur.
Dans ce bel ouvrage de vulgarisation scientifique abondamment illustré de documents photographiques, on apprend que les coraux ont besoin pour se développer d’une eau à une certaine température (entre 20° et 29°), présentant une certaine salinité (de 28 à 40%) et qu’on les trouve à une profondeur donnée (0 à 50 m), c’est-à-dire dans la couche d’eau où la lumière solaire peut pénétrer et permettre la photosynthèse. On peut en déduire aisément les tourments des organisateurs d’une telle exposition, chargés de faire voyager des coraux et de les maintenir en vie dans des aquariums, loin e leurs mers d’élection ! C’est ainsi que, dans l’un des aquariums de la Porte Dorée, un corail n’ayant pas résisté à un stress est mort et a laissé un squelette aussi blanc qu’une porcelaine fine. On a résolu le problème et sauvé les autres coraux de cet habitacle, sans porter atteinte à la beauté de la composition, offerte aux regards profanes des visiteurs, qui ne sauront rien de l’inquiétude des organisateurs de l’événement et qui n’ont que trop tendance à oublier que le corail est un organisme vivant…d’Afrique du Nord, puis avait poursuivi ses observations en Guadeloupe où l’avait conduit sa charge de médecin botaniste du roi, affirmait la nature animale du corail en 1727. Une théorie rejetée par ses pairs et par l’Académie des Sciences. Ses détracteurs, parmi lesquels se rangeaient René-Antoine de Réaumur et Bernard de Jussieu, ne lui donneront raison que quinze années plus tard. Et cette théorie ne s’imposera définitivement qu’avec Georges-Louis Leclerc, comte de Buffon, qui l’officialisera vingt-deux ans après son énoncé par Jean-André Peysonnel. Chaque cnidoblaste ressemble à un microscopique ballon de rugby dont une extrémité est fermée par un couvercle. L’intérieur de chacun de ces ballons contient un liquide toxique – parfois très toxique, notamment dans le cas du corail dit « de feu » ! – où baigne une sorte de dard, de microscopique harpon. Pour paralyser ses proies ou se défendre, le cnidaire soulève les couvercles de la batterie de ses cnidoblastes, lesquels ne fonctionnent qu’une seule fois, mais sont vite remplacés par d’autres.
« Plus précisément, au sein des cnidaires, les coraux – les Scléractiniaires dans la systématique, cette science du classement des espèces – appartiennent à la classe des hexacoralliaires. Car, autour de leur minuscule bouche/anus, les coraux présentent toujours des tentacules au nombre de six ou d’un multiple de six ; de même la structure calcaire de leur squelette comporte toujours des cloisons au nombre de six ou d’un multiple de six. »
Pascale Joannot, en arrêt devant le schéma d’un arbre de vie, explique : « Le corail, appartient au groupe des cnidaires – lequel comprend également méduses, gorgones et anémones de mer – caractérisées par la présence de cellules urticantes, les cnidoblastes, cellules abondantes au niveau de la couronne de tentacules cerclant la bouche/anus de ces minuscules animaux en forme d’amphore. Pour un profane, se repérer à l’intérieur de données aussi spécifiques nécessite le recours au catalogue de l’exposition, évidemment. Mais le plaisir de la découverte ne s’en trouve nullement altéré, car Pascale Joannot est une authentique conteuse. Elle chemine entre les aquariums, les vitrines, les photographies et les objets mis en scène, en agrémentant ses commentaires scientifiques ou historiques de remarques et d’impressions personnelles. Ainsi évoque-t-elle « la grande nuit d’amour » de certains coraux en ces termes : « Unefois par an, entre fin novembre et janvier, quelques nuits après la première pleine lune d’été, à l’étale de la marée basse, lors d’une accalmie des alizés et alors seulement, toutes ces conditions étant réunies, on peut voir les polypes de certaines colonies de coraux parvenus à maturité sexuelle, libérer, les uns, des ovules, les autres, des spermatozoïdes. Et l’on assiste à la remontée vers la surface de l’eau de nuées de spermatozoïdes et de millions d’ovules, minus- cules billes roses, beiges ou vertes. Spermatozoïdes et ovules s’unissent dans l’eau, pour former une nappe d’oeufs roses (photo ci-contre), en surface, spectacle fabuleux, mais bref, insiste-t-elle en faisant admirer les images enregistrées lors d’une observation de ce phénomène. Ce mode de reproduction spectaculaire est aussi le plus fréquent. Il faut savoir aussi que 75% des coraux sont hermaphrodites et libèrent à la fois gamètes mâles et femelles. Mais l’auditoire se souviendra surtout de ces myriades de points colorés saisis par la caméra dans leur ascension vers la surface de l’eau, puis du rose de la nappe d’oeufs filmée sur le lagon au petit jour. Chacun de ces oeufs donnera une larve appelée planula.
« En Nouvelle-Calédonie existent plus de 350 espèces de coraux, poursuit Pascale Joannot. Chaque planula, de forme oblongue et dotée d’un appareil cilié, se laisse dériver au gré des courants pendant quelques heures ou quelques semaines, période durant laquelle elle s’expose à la rencontre de zooplanctophages. Si elle échappe à ces carnassiers, elle finit par couler et se fixer sur un support (grain de sable, morceau de coquille, épave). La larve développe alors son premier polype, qui commence à sécréter une tour de calcaire appelée calice, aux multiples cloisons à bords dentelés, crénelés ou lisses, épais ou fins, entre lesquels il s’insère. Il élève ce squelette de carbonate de calcium à la manière d’une tour protectrice, sécrétant simultanément aux cloisons, outre un « plancher » de base le fixant à son support, des « planchers » délimitant, au fur et à mesure de sa croissance, des étages dont il habite toujours le dernier. Puis, sur un mode de reproduction asexué, par bourgeonnement, le minuscule polype va créer d’autres polypes, générant une colonie. Il existe également quelques espèces de coraux ne développant qu’un seul polype de bonne taille. »
Le corail est un bâtisseur lent : « Un corail massif, en boule et couramment appelé ‘patate’, grandit de 1cm de diamètre par an alors qu’un branchu croît d’environ 10 cm par an. Une boule-patate de 100 cm de diamètre est donc âgée de 100 ans – Une patate modelée dans une résine de polymérisation à l’image d’une patate authentique permet aux visiteurs de l’exposition de visualiser ce type de corail – Un mètre, c’est un siècled’histoire », indique Pascale Joannot avant de faire découvrir à son auditoire l’astucieux mode de vie du corail : « Cet animal microscopique est un planctophage nocturne qui enrichit son régime alimentaire de bactéries, de débris organiques divers, parmi lesquels, les excréments de poissons, excréments emprisonnés dans la couche de mucus protecteur qu’il sécrète et qui lui permet d’être émergé à marée basse sans mourir. Le corail a également besoin d’oxygène et de sucres. Ces éléments lui sont fournis en partie par des zooxanthelles, algues microscopiques, unicellulaires, vivant en abondance dans la chair du corail (plusieurs millions par cm3). Ces zooxanthelles se fournissent sur les déchets du corail qui leur procure engrais de qualité et CO2 en suffisance. Ce gaz carbonique, produit de la respiration du corail, est nécessaire à l’activité de photosynthèse des zooxanthelles, activité à l’origine de la production de l’oxygène et des sucres dont a besoin le corail. Il s’agit donc d’une symbiose parfaite entre le corail et l’algue qui participe, par la présence de ses pigments photosynthétiques, à la couleur du corail vivant. Lorsque le orail est soumis à un stress (eau trop chaude, variation de la salinité, forts ultraviolets, pollution), les zooxanthelles quittent leur hôte, entraînant une perte de sa couleur, un blanchissement et la mort si le stress persiste. »Mais la vie d’un polype corallien n’est pas une histoire tranquille. Non seulement il est extrêmement sensible aux conditions climatiques et physiques auxquelles il se trouve soumis, mais encore il est à la merci de nombre de prédateurs. Le lime à tâche orange – Oxymonacanthus longirostris – est friand de polypes de corail qu’il sectionne pour pouvoir s’en régaler. Comme ce poisson vit en couple, ce sont deux limes à tâche orange qui cassent et festoient à un moment donné, sur un corail donné !
Le poisson perroquet, – Scarrus spp.- quant à lui, broute, grignote le corail, laissant dans les massifs des traces caractéristiques de son passage. Il broie les squelettes des coraux à l’aide de ses molaires avant de les avaler et de les excréter sous forme de sable. Bien plus redoutable encore est une étoile de mer, l’Acanthaster planci, qui se nourrit de la chair, de la partie vivante des polypes dont il ne reste que le squelette blanc après son passage.
Heureusement pour les coraux et pour l’équilibre naturel, cette dangereuse ogresse est elle-même traquée par un mollusque appelé conque ou toutoute – Charonia tritonis. « Il faut voir comment l’étoile de mer déguerpit quand elle repère une conque dans le voisinage des coraux convoités ! », raconte Pascale Joannot.
Les coraux subissent également des attaques bactériennes. Ces maladies, qui laissent sur le squelette des bandes noires ou blanches visibles à l’oeil nu, sont encore peu connues des chercheurs.
Néanmoins, le pire ennemi des coraux paraît bien être l’homme de l’ère industrielle avec ses activités polluant les eaux, ses méthodes de pêches destructrices, sa propension à entreprendre des aménagements intensifs de tout littoral et à surexploiter les ressources de toute région. « En Nouvelle-Calédonie, les pressions anthropiques sont dues à l’activité minière (extraction du nickel) et au développement urbain (problème du traitement des eaux usées et des déchets) », souligne Pascale Joannot. Pour préserver ces fantastiques bio-constructions de la planète que sont les récifs coralliens, les Calédoniens, qu’ils soient Kanak, descendants de colons ou de bagnards ou récemment installés sur cette terre, tous ont fait front ensemble contre les prédateurs humains et oeuvré à l’inscription au patrimoine mondial naturel et culturel de l’UNESCO de six sites coralliens couvrant ensemble une superficie de 15743 km2, six sites n’ayant pas encore eu à souffrir de conditions environnementales irrémédiablement perturbées. Les Calédoniens ont obtenu satisfaction le 7 juillet 2008. A moins de modifications catastrophiques autant qu’imparables (cyclones, tsunami, changement climatique, nouveaux prédateurs), ces récifs coralliens protégés continueront à croître en symbiose avec les zooxanthelles, à être agressés par leurs prédateurs naturels, à lutter pour s’étendre en agressant les colonies voisines gênantes au moyen des projections toxiques de leurs tentacules urticants et à mourir. A vivre une vie normale de corail normal, en somme. Et les scientifiques pourront continuer à étudier ces minuscules êtres vivants dont les traces remontent à l’ère quaternaire, et dont nous ne connaissons peut-être pas parfaitement l’histoire ni les propriétés.
Ainsi, les fondateurs de l’Aquarium de Nouméa en 1956, René et Ida Catala, ont découvert, en 1958, que « des coraux récoltés en Nouvelle-Calédonie, sur les fonds de vase des lagons comme à l’extérieur du grand Récif, – ce, entre la surface de la mer et jusqu’à une profondeur de 35 mètres – étaient capables de fluorescence. En effet, soumis à un éclairage de rayons ultraviolets, les coraux réagissent en émettant des couleurs fluorescentes, liées à la présence de pigments (flavines et urobilines) dans leur chair, c’est-à-dire dans les parties vivantes de l’animal », selon les informations fournies par Pascale Joannot dans le catalogue de l’exposition.
Brisés, morts, les coraux sont envahis par les algues, roulés par la mer qui les transforme en un sable blanc dont la douceur et la finesse font la réputation des plages d’Ouvéa et de l’Ile des Pins.Le corail est une mémoire de la planète qu’interrogent méthodiquement les chercheurs de l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD). « Si ces chercheurs ont la manie de faire des carottes dans des patates, c’est pour faire parler la mémoire des coraux, notamment à partir de patates de Porites dont la croissance lente est de 1 cm de diamètre par an, relate Pascale Joannot. Car ces coraux présentent, comme les arbres, des stries de croissance qui, examinées aux rayons x permettent de déterminer l’âge d’une colonie. Et s’ils privilégient le carbonate de calcium sous forme minérale cristallisée – l’aragonite – pour aménager leur forteresse, les coraux peuvent aussi incorporer d’autres éléments chimiques en fonction du milieu. Ils peuvent même substituer au calcium, dans les cristaux d’aragonite, du strontium, du magnésium ou du baryum…
En bref, l’étude et le dosage des divers éléments identifiés permet de reconstituer les changements survenus dans l’environnement en matière de température, de pluviométrie, d’ensoleillement, de variation du niveau de la mer. Et ceci depuis la nuit des temps. Le corail est un véritable marqueur du temps. Le corail calédonien est également l’objet d’expérimentations à visées médicales car il semble pouvoir être un matériau utilisable en chirurgie osseuse. Mais les scientifiques ne se rendent pas en Nouvelle-Calédonie que pour y étudier le corail. Ils s’intéressent aussi aux mécanismes d’action des venins de nombreux organismes marins et aux principes actifs des plantes terrestres dont les populations locales connaissent bien les propriétés.Ainsi, la Fondation Toxinomics, créée en 2006, s’est fixé pour but de soutenir la recherche sur les organismes venimeux susceptibles d’être utiles en médecine. Le premier programme, consacré à l’étude d’un cône de Nouvelle-Calédonie, Conus consors, récolté au voisinage des îles Chesterfield. Cette étude, « regroupe vingt partenaires internationaux et vise à étudier le génome et le venin de ce cône. Financé par la Commission Européenne, ce programme a nécessité plusieurs missions de récolte qui ont reçu le concours de l’IRD, de l’IFREMER ( Institut Français de Recherche pour l’Exploration de la mer) et de la Marine Nationale, rapporte Pascale Joannot, qui précise encore : « Une convention a été conclue, entre la Fondation Toxinomics et les collectivités locales de Nouvelle-Calédonie, précisant les modalités du partage des éventuels bénéfices et les conditions de restitution aux collectivités des résultats obtenus. Ce projet est l’un des premiers, en Nouvelle-Calédonie, qui se propose de respecter, dans la convention sur la diversité biologique, l’article relatif à l’accès aux ressources génétiques, au partage des avantages et à la protection des connaissances traditionnelles ».On voit ici, que l’intérêt de Pascale Joannot pour la Nouvelle-Calédonie ne se limite pas au « petit architecte à fragilité de cristal et mémoire d’éléphant », à « ce petit animal qui maçonne les plus grandes constructions naturelles de la terre », à « ce bioconstructeur », dont elle parle si bien.
Pascale Joannot s’est attachée à ces îles, a étudié leur histoire, celle de ses habitants, est partie à la découverte de leur passé sans jamais perdre de vue les problèmes actuels. Elle s’est attachée à ces îles au point de s’impliquer aujourd’hui dans la défense de leurs intérêts, dans leur devenir. En effet, née à Meknès (Maroc) le 9 décembre 1958, Pascale Joannot est arrivée en Nouvelle-Calédonie le 1er janvier 1976.
« Passionnée par le comportement animal, elle découvre [en Nouvelle-Calédonie] celui des organismes marins », peut-on lire dans la mince étude biographique qui lui est consacrée en quatrième de couverture du catalogue de l’exposition. Puis, quelques lignes plus loin, on apprend que, [devenue] citoyenne calédonienne, elle est membre du Congrès de la Nouvelle-Calédonie et de l’Assemblée de la Province Sud. Présidente de la commission de l’environnement de cette province en 1998, elle a démissionné l’année suivante de ses fonctions électives pour se consacrer à l’Aquarium de Nouméa et à la fonction de déléguée régionale pour la recherche et la technologie auprès du haut-commissaire de la République en Nouvelle-Calédonie, poste qu’elle occupe depuis début 2000. La rénovation de l’Aquarium de Nouméa est véritablement sa première réalisation au profit de cet archipel. En effet, forte d’un doctorat en océanographie, elle a dirigé cette structure consacrée à la faune marine locale de 1984 à la fin de l’année 2000. Ce qui lui a permis d’en initier et d’en suivre le projet de reconstruction, d’en concevoir la scénographie. Le nouvel aquarium,dont elle assure le commissariat, a ouvert en août 2007 sous le nom d’Aquarium des lagons de la Nouvelle-Calédonie. Par ailleurs, représentante du comité local de l’Initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) en Nouvelle-Calédonie de 1999 à 2000, elle est, aujourd’hui, représentante du ministère de la recherche auprès de ce comité. Présidente fondatrice du Centre d’initiation à l’environnement en Nouvelle-Calédonie entre 1996 et 2000, elle s’est impliquée dans l’éducation à l’environnement. Elle a quitté la Nouvelle-Calédonie à la fin de l’année 2000 pour prendre la responsabilité de la rénovation des collections à la direction des collections, au Muséum national d’histoire naturelle où elle est également chargée des relations avec l’outre-mer. Enfin, habilitée à diriger des recherches (HDR), Pascale Joannot associe à ses multiples fonctions, celle de dispenser des enseignements.
Mais à l’écouter, il semble bien que cette authentique femme d’au-delà des mers, demeure très attachée à la Nouvelle-Calédonie, au coeur de mangrove de cette terre du bout du monde comme au coeur de corail découvert lors de l’exploration d’un récif. Elle est vraiment habitée par l’histoire des habitants de cette terre. Une histoire qu’elle ne cesse de conjuguer à tous les temps, en déclinant le passé, s’intéressant au présent et se montrant soucieuse du futur. Les Kanak, ont trouvé en Pascale Joannot non seulement un défenseur de leurs richesses marines, mais encore un authentique pas seur de leur histoire et d’une culture qui témoigne de la manière dont ils sont parvenus à apprivoiser cette terre en s’adaptant à ses caractéristiques climatiques et marines, ce que les nouveaux arrivants doivent se garder d’oublier ou de feindre d’ignorer.
Cette terre a été longtemps celle des naufrages de navires venus s’échouer sur ses récifs, tout au long du XVIIIème et du XIXème siècle, des bateaux à voile surtout. Mais le navire qui, en 1863, amène en Nouvelle- Calédonie le jeune ingénieur de l’école des mines de Saint-Etienne, Jules Garnier, chargé d’en inventorier les ressources minières, a su trouver la bonne passe pour accoster. Quant à Jules Garnier, il subodore la présence de Nickel dans ces terres porteuses de roches de couleur verte.Ce que confirmera en 1874, celui auquel Jules Garnier a fait parvenir des échantillons, l’Américain Dana qui donnera au nickel le nom de garniérite en hommage à son découvreur. De retour en France, Jules Garnier mettra au point un procédé de fusion de ce minerai, ce qui en permettra l’exploitation minière et fera de la Nouvelle-Calédonie, la terre de l’or vert.
C’est en 1863 également que Napoléon III a ordonné l’ouverture d’un bagne en Nouvelle-Calédonie. Là, ont été déportés plus de 10 000 condamnés, parmi lesquels 5000 Communards –dont Louise Michel. Le bagne a été fermé en 1897. De cette époque, le visiteur de l’exposition découvre des coquilles de mollusques (huîtres, nautiles, …) travaillées par les bagnards et prêtées par des collectionneurs.
Des oeuvres qui donnent à Pascale Joannot l’occasion de souligner que les coquillages de la Nouvelle-Calédonie continuent d’ailleurs à séduire ceux qui y font escale aujourd’hui, notamment les vacanciers amateurs –et pilleurs – de porcelaines !
Quant aux coraux et bénitiers, ils sont protégés par la convention de Washington et ne peuvent être exportés ni commercialisés sans autorisation préalable.
Manifestement cette océanographe souhaiterait que cette convention s’applique également aux porcelaines dont certaines commencent à se faire rares !Existe-t-il un lien entre l’envoi d’un ingénieur des mines chargé d’inventorier les ressources minières de Nouvelle-Calédonie et la décision d’y créer un bagne ? Le catalogue de l’exposition ne le précise pas. Sans doute Pascale Joannot s’intéresse-telle davantage aux Kanak, authentiques peuples de ces îles qu’aux étrangers débarqués en quête d’aventure et de fortune, ou bien pour fuir un destin détestable ailleurs, ou bien, malgré eux parce que bannis de chez eux, un mode de peuplement retrouvé sur bien des îles à travers le monde.En effet l’exposition permet au visiteur de découvrir nombre d’objets importants dans la culture kanak et participant à la vie quotidienne de ces populations sous forme à la fois symbolique et pratique. Ces objets témoignent de la subtile appropriation par les kanak de leur milieu, avant que la civilisation industrielle ne vienne en modifier les caractéristiques.
Ainsi une maquette reproduisant une pirogue d’antan (1) voisinant avec une photographie d’une pirogue (2) d’aujourd’hui (document fourni par Pierre-Alain Pantz), permet d’admirer le talent des concepteurs qui a permis à ce modèle de perdurer à travers les siècles, prouvant la permanence de son adaptation à la navigation locale et à la pêche.
Divers documents montrent l’importance de la conque appelée toutoute dans la vie sociale des Kanak, telle cette conque conservée au musée de la Nouvelle-Calédonie, semblable à celles, dites « conques d’appel » que les Kanak utilisent pour rassembler les membres d’un clan ou de divers clans. « De tradition orale, la société kanak, fondée sur l’échange, s’organise autour d’un ensemble de clans ou groupe de clans, issus d’un clan fondateur, formant un pays doté de sa parole, de ses mythes et de ses symboles propres. Un ensemble de pays ayant des pratiques culturelles proches constitue, selon la loi organique qui décrit le statut de la Nouvelle-Calédonie, une aire coutumière. La loi en prévoit huit. Chaque clan a un symbole (ou totem) sacré et protecteur qui l’identifie. Le personnage central du clan, appelé l’Aîné, n’est pas le doyen, mais celui qui a été choisi par les « Vieux » du clan. Il porte la parole et incarne la communauté. Un neveu, un fils adoptif ou un descendant direct peut lui succéder. Chaque clan construit une grande case, lieu sacré dont les chambranles encadrant la porte représentent les ancêtres. On ne peut franchir cette porte que courbé, en signe de respect »,expose Pascale Joannot dans son récit. Dans cette grande case se réunissent les « Vieux » à chaque décision importante qu’ils doivent prendre dans l’intérêt du clan. Cette case est toujours surmontée d’une flèche faîtière ornée d’une ou plusieurs toutoutes symbolisant la voix de l’Aîné et contenant des herbes magiques protectrices.Les Kanak possèdent également une monnaie symbolique élaborée à partir de petits coquillages – des cônes – et de perles végétales montés sur des poils de roussette. Ces monnaies symboliques sont conservées dans un étui d’écorce ou de tissu dont la matière et l’ornementation permet d’identifier le clan d’origine de ces objets qui interviennent dans les tractations, les cérémonies où les acteurs tiennent à signifier qu’ils engagent leur parole devant leurs ancêtres.
L’exposition nous fait découvrir encore des valves de l’huître Pinctada margaritifera, transformées en couteaux rituels utilisés exclusivement pour couper le cordon ombilical des nouveaux nés et pour diviser les morceaux d’igname à planter.
Quant au récit de leur vie quotidienne, les Kanak le gravent sur des bambous à l’intérieur desquels ont été introduits des herbes magiques protégeant le clan des mauvais esprits. « Tous les événements majeurs de la vie comme la naissance, le mariage, le deuil, sont marqués par une cérémonie au cours de laquelle la mémoire des Ancêtres est évoquée, la parole et les symboles échangés… La monnaie symbolique noire dite monnaie ‘homme’ est échangée lors d’événements très importants, tel le deuil et la monnaie symbolique blanche dite monnaie ‘femme’ pour des événements plus festifs, telle la naissance », rapporte Pascale Joannot avant d’avertir : « Les valeurs de la société kanak ne sont pas aisées à assimiler pour un occidental, d’où, parfois, des erreurs de comportements ».
Il faut espérer que l’inscription des lagons et récifs coralliens de la Nouvelle-Calédonie au patrimoine mondial de l’Unesco protégera et la terre kanak et la culture kanak. Il faut espérer que cette mesure saura éviter à ces îles un devenir de déchetterie industrielle, ce cauchemar de Pascale Joannot et de tous les amoureux de ce pays.
M.R.
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