FAM au Salon du Livre 2013

FAM au Salon du Livre 2013

A l’occasion du Salon du Livre, Porte de Versailles, dimanche 24 mars 2013, Femmes au-delà des Mers a participé à une table ronde organisée par la Librairie du Bassin du Congo à l’initiative de Dominique LOUBAO, présidente de la Plume Noire et modératrice du débat, autour du thème « Aimé Césaire et Douta Seck, deux destins, une  passion commune : le théâtre».

C’était l’occasion pour le public de découvrir ou redécouvrir une autre dimension d’Aimé Césaire. Dans cette optique, le traditionnel trio : Césaire/Senghor/Damas a laissé la place au triptyque : Aimé Césaire,  Douta Seck et  Jean-Marie Serreau. « C’est parce que Césaire a trouvé Serreau que ses pièces ont pu être jouées, c’est parce qu’il a trouvé Douta Seck qu’il a pu jouer ses pièces » explique Romuald Fonkoua. Un accent  tout particulier a été adressé à la pièce « La tragédie du Roi Christophe » puisque comme le précise sa fille, Emmanuelle Vidal de Fonseca, le rôle du Roi Christophe était fait  pour Douta Seck, rôle dont le texte et le timbre de son comédien résonnent aujourd’hui encore.

ALIM0344_-_site-300x227 FAM au Salon du Livre 2013Femmes au-delà des Mers était fière de participer à cet évènement majeur reliant Aimé Césaire à Douta Seck. D’abord, parce que le théâtre de Césaire n’est pas assez connu, alors même qu’il s’agit d’une œuvre complète participant à l’unité de son travail. Lorsque Césaire écrit dans les Armes Miraculeuses en 1944, le long poème «Et  les chiens se taisaient… » il l’a pensé comme une pièce de théâtre : il préfigure ainsi ses créations futures : « la Tragédie du roi Christophe » ; « Une Saison au Congo »  et « Une Tempête ».Douta Seck est indissociable du théâtre de Césaire : il donne une portée universelle et une résonnance particulière à ses textes en étant la voix et le souffle du poète. FAM s’est donc réjoui de contribuer à cette rencontre mettant en lumière certains ouvrages méconnus de Césaire. Mais c’était également un moyen pour FAM d’accomplir un vœu qui lui est cher : transmettre grâce à un témoignage oral des connaissances portant un regard au plus près de ceux qui ont tracé l’Histoire.

ALIM0329_site-247x300 FAM au Salon du Livre 2013Le débat a commencé par la lecture d’un extrait de « La tragédie du Roi Christophe » par Sidiki Bakada, homme de théâtre et de cinéma.

A LA GENESE DU TEXTE : UNE RENCONTRE

La table ronde s’est ouverte par la présentation d’Emmanuelle Vidal de Fonseca du parcours de son père : Douta Seck est né à Saint-Louis au Sénégal, en 1919, il a étudié à Dakar et enseigné en Casamance (Ziguinchor). En 1949, après avoir obtenu une bourse du président Senghor, il part étudier en France aux Beaux-Arts de Paris. En 1951, Marie-Louise Vidal de Fonseca l’entend interpréter des chants negro-spirituals et est impressionnée par son timbre de voix. Ecrivaine et productrice à l’ORTF, elle choisit de programmer cet artiste. Aimé Césaire, venu assister à un enregistrement d’émission, s’émeut lorsque Douta Seck laisse résonner sa voix.

UN TEXTE HISTORIQUE

Le personnage du Roi Christophe est tiré de l’histoire de Henri Christophe. Ce descendant d’esclave né en Grenade, arrive à Saint-Domingue comme esclave, prend part aux révoltes haïtiennes, accompagnant pendant quatre ans Toussaint Louverture dans ses bataille. En 1802, il est nommé général. Quatre ans plus tard, l’empereur Jacques 1er est assassiné, Christophe se retire dans le Nord où il crée un Etat séparatiste dont il se proclame président. En 1811, il est couronné Roi. Durant son règne il restera controversé, peu populaire et constamment en conflit avec le Sud.  Suite à un AVC, il reste paralysé. Attaqué par les insurgés, il  décidera de se suicider en 1820 avec une balle en argent qu’il se tire dans le cœur pendant une messe. Il sera inhumé debout dans la Citadelle La Ferrière.

ALIM0327_site-1024x637 FAM au Salon du Livre 2013

UN ECHO ACTUEL

Houdart Dominique, auteur et producteur, est dans les années 60, l’assistant de Jean-Marie Serreau durant la mise en scène de la « Tragédie du Roi Christophe ». En 1966, il suit la troupe lorsqu’ils jouent dans le stade de Dakar. Les gens venaient avec leurs transistors, discutaient entre eux alors que la pièce avait déjà commencé. Soudain Douta Seck est entré en scène et a commencé à parler. Le silence s’est fait, la foule était captivée par « le souffle du poète et  le souffle de Douta ». Il rappelle que ce texte très fort, parlait aux Africains, aux colons, aux indépendantistes. Il avait une résonnance particulière avec l’actualité qu’ils vivaient, comme en témoigne une citation du texte qu’il a tenu à rappeler : « il est temps de mettre à la raison ces nègres qui croient devoir prendre la place des Blancs. » La puissance poétique de Césaire est telle que les mots nous échappent.

Gisèle Bourquin rappelle que c’est à l’époque une mise en garde forte pour les républiques naissantes après les indépendances. « La Tragédie du Roi Christophe » c’est l’histoire d’un descendant d’esclave qui dans un pays « Haïti, où la négritude se mit debout pour la première fois »,  a gravi les échelons sociaux et qui,  arrivé au sommet, se défend de faire  « le blanc sur le dos des nègres ».  L’Histoire, en se répétant, a malheureusement montré que cet avertissement n’a pas suffi à chasser les vieux démons, prouvant ainsi la portée universelle du texte de Césaire.

UNE TRIPLE TRAGEDIE

ALIM0328_site FAM au Salon du Livre 2013Joël Des Rosiers analyse « La Tragédie du Roi Christophe » comme une triple tragédie : Il s’agit tout d’abord d’une mise en lumière sur la tragédie de l’histoire du peuple haïtien. D’une part, la pièce relate une tragédie politique entre mulâtres et nègres et la séparation d’un pays. D’autre part, elle retrace l’impuissance d’un homme à construire une Nation stable, la lutte vaine pour unir un peuple autour d’une entité politique souveraine. L’inhumation du Roi Christophe au sein de la Citadelle La Ferrière – censée protéger les Haïtiens des invasions blanches -évoque aussi l’enterrement et la perte des bâtisseurs de Nation. La tragédie se répète puisque la pièce, comme l’Histoire, est vouée à un éternellement recommencement de cet échec.

Ensuite, il s’agit d’une tragédie individuelle, le Roi Christophe, en tant qu’individu choisit le suicide. Il s’agit d’une protestation frontale : c’est aux survivants d’affronter cette disparition. Le fils du Roi Christophe sera ainsi pendu par les insurgés, sa femme et ses filles pourront s’exiler en Italie tandis que le Président du Sud s’imposera par les armes et rattachera le Nord à la République d’Haïti.

Enfin, la pièce illustre la tragédie de Césaire : lui-même est député et se terre dans un effort impossible de créer une Nation. La mort de Césaire en symbiose avec son peuple, rappelle celle de Christophe. On retrouve dans le texte, les propres angoisses de Césaire concernant le suicide. Après le « Cahiers d’un retour au pays natal », Césaire a fait une grave dépression et a été interné en sanatorium : un exemple de sa souffrance profonde dans sa chair.

LA LITTERATURE COMME ARME DE COMBAT

Romuald Fonkoua précise qu’une des avancées majeures qu’a permise « La tragédie du Roi Christophe » a été la professionnalisation des comédiens noirs en 1966. Pour la première fois en France, une pièce dramatique, mettant en scène des comédiens professionnels, sur un sujet propre a été entièrement réalisée par des Noirs (auteur/comédiens/personnages).  Une réelle visibilité, une reconnaissance et un professionnalisme ont été acquis. Il faut préciser, ajoute Gisèle Bourquin, que la pièce, avant d’être représentée en France, a d’abord été jouée en Allemagne et en Italie avant d’être présentée à l’Odéon. Suite au premier Festival des Arts Nègres à Dakar en 1966, la pièce a été programmé à la Comédie Française. La création de la compagnie en elle-même a été un défi à relever comme en témoignent la Compagnie du Toucan puis la Société des Amis du Roi Christophe.  Cette reconnaissance finale, cet accès à la culture noble au travers du théâtre ont symbolisé une victoire dans le combat de Césaire pour la reconnaissance de la négritude. La violence littéraire  que prônait Césaire était une alternative à la violence physique, un moyen de libérer les peuples noirs par une arme vocale traversant les générations et les frontières.  Aujourd’hui ses textes brûlent toujours d’actualité et permettent de perpétuer des combats universaux.

ALIM0343_site-1024x590 FAM au Salon du Livre 2013Le débat s’est clos par une lecture de poèmes de Jean-Yves Berthogal, extraits de son recueil de poésie « L’écho des conques ultramarines ». Un hommage moderne en résonnance aux héritages de Césaire, de Senghor, de Damas et Douta.

 

Synthèse : GALLY Vanessa

BIOGRAPHIE DES INTERVENANTS

Sidiki BAKABA est un acteur, réalisateur, cinéaste, metteur en scène ivoirien. Après des études à l’École nationale d’art dramatique d’Abidjan, il effectue des stages de formation au Living Theatre et auprès de Grotowski. Parallèlement à une importante carrière d’acteur, il réalise des films de fictions, des documentaires et des courts-métrages. Sa dernière réalisation, Roues libres, lui a permis de remporter le prix du meilleur scénario au festival d’Amiens en 1998 et d’être présenté sur la chaîne ARTE. Sidiki Bakaba est directeur du Palais de la culture d’Abidjan à Treichville de 2000 à 2011. Il dirige aussi l’Actor Studio (école de formation d’acteur au sein du palais qu’il a créé).

Jean-Yves Berthogal, poète de passion, homme des trois océans des Antilles, de la Réunion, de Madagascar et de la Nouvelle-Calédonie. Son crédo : l’Ultramarinité. Il se produit dans les festivals internationaux de poésie, dans les salons littéraires, s’incontournabilise dans des manifestations liées à la catastrophe d’Haïti, … Sollicité pour la journée des Femmes, il leur rend hommage. Son ode, dans le recueil collectif « Poètes pour Haïti » lui ouvre la porte de l’Unesco. Plébiscité pour sa verve, il interprète les poètes Delgrès, Diop, Césaire, Fanon, Tyrolien, Glissant, Damas, Métellus… De sa voix veline, il clame la femme et enflamme les tournois de Slam.

Gisèle Bourquin s’intéresse au théâtre contemporain pendant ses études à Paris et découvre des mises en scène d’avant-garde, des écritures inattendues comme Leroi Jones. C’est la naissance d’une prise de conscience qui guidera ses actions futures. En 1965, pour rien au monde elle n’aurait manqué le concert mémorable pour Martin Luther King à l’initiative d’Harry Belafonte au Palais des Sports. Le premier Festival des Arts Nègres à Dakar se prépare. Elle se passionne pour le théâtre d’Aimé Césaire, ce qui l’amène à rencontrer souvent l’auteur, ainsi que Jean Marie Serreau et ses comédiens. Ses recherches de doctorat la conduisent vers des compagnons de Césaire : Michel Leiris, l’équipe de Présence africaine, Alioune Diop, Lamine Diakhaté, Bernard Dadié Jacques Howlett, et surtout Léon Gontran Damas, qui l’invite à son mariage. Cette étape de sa vie au contact de ceux qui marquent l’Histoire est déterminante.

Joël DESROSIERS, est un descendant du colon français révolutionnaire Nicolas Malet, officier signataire de l’Acte d’indépendance d’Haïti est un psychiatre, poète et essayiste québécois d’origine haïtienne. Il grandit en Haîti jusqu’à 10 ans, puis ses parents s’exilent suite à la dictature d’abord  au Canada avant de partir avec sa famille pour Strasbourg. C’est de l’Alsace qu’il participera à l’accueil des réfugiés clandestins et à la défense des sans-papiers. Après un long voyage – de l’Argentine à la Chine en passant par le  Sahel – il publie ces premiers textes : Métropolis Opéra (1987), Tribu, (1990), Savanes (1993). Persuadé du caractère politique de l’écriture, Joël Desrosiers, nous promène à travers les héritages de nos grandes mégalopoles glanant errance, déracinement, migration, exil, où la chaleur perdue des Îles côtoie son écriture « froide, presque clinique ».   Il a été récompensé de nombreux prix pour ses différentes œuvres.

Romuald Fonkoua, Professeur de littérature française à l’Université Paris-Sorbonne, rédacteur en chef de la revue « Présence africaine » et auteur en 1990 d’une monumentale thèse sur les Antilles,  est l’un des très grands spécialistes des littératures et cultures d’Afrique noire et des Antilles. On lui doit notamment le splendide Essai sur une mesure du monde au XXe siècle : Edouard Glissant. Romuald Fonkoua consacre aujourd’hui une biographie à une autre figure immense de la francophonie, Aimé Césaire, disparu le 17 avril 2008, dans laquelle il explore l’articulation complexe de la poésie et de la politique dans l’existence et l’oeuvre du « nègre fondamental ».

 Dominique Houdart est un auteur dramatique, producteur de télévision, animateur de Festivals, fondateur de la Compagnie Dominique Houdart, élève de Jacques Lecoq, Maurice Jacquemont et assistant de Jean-Marie Serreau durant « La Tragédie Du Roi Christophe  » de Césaire. Installé à Epinal de 1977 à 1991 il met en scène des pièces de Beckett, Ionesco, Corneille , Racine, Molière, Marivaux, Musset, Labiche, Audiberti, Claudel, Abirached, Topol, Vitoux, Blondé, Gélas, Bosquet, Dubost, Queneau, et plus particulièrement de Gérard Lépinois, et des oeuvres musicales de Monteverdi, Scarlatti, Offenbach et Vinko Globokar. Sa dernière création: « Zazie dans le métro » de Raymond Queneau, et « Toute la misère du Monde », sur le thème de l’immigration a été créé en Norvège le 19 avril 2008.

Dominique Loubao (modératrice), juriste de formation elle décide de se tourner vers les métiers de la culture. Ingénieure culturelle, elle monte des évènements pour les institutions et les particuliers et ce depuis plus de 20 ans. Femme de passion et de conviction, elle est la présidente-fondatrice du Salon de la Plume Noire qui fêtait sa 17èmeédition et du prix littéraire Prix Senghor qui en est à sa 8ème édition.  Fidèle, son combat reste la promotion de la littérature noire et du monde francophone afin de défendre un patrimoine littéraire et culturel.

Emmanuelle Vidal Simoes de Fonseca, femme de lettres, auteur-interprète, est née à Paris, d’une famille aristocratique originaire d’Espagne, avec un passé, rempli de personnages illustres, comme son aïeul : le Maréchal Déodoro Da Fonseca, qui fut le premier Président de la République du Brésil; sa grand-mère : Solange De Fonseca, artiste peintre et dessinatrice de mode chez Coco Chanel; un père célèbre dans le monde entier : DOUTA SECK, (Acteur de cinéma et théâtre) du Sénégal, avec quelques créations théâtrales à Paris (La Tragédie du Roi Christophe) et de nombreux films (Les Comédiens, avec R.Burton et Liz Taylor, Rues Cases Nègres, Amok, Pétanki, Le Mahabaratha de Peter Brooks, Productions Walt etc Disney.. ). Sa mère, Marie-louise VIDAL DE FONSECA est écrivain chez R.Laffont, productrice à la télévision Française et auteur pour des grands chanteurs de Negro-spirituals comme John William, John Littleton etc.. .

FAM

Laisser un commentaire

*