Dans le cadre du programme « Mémoires Croisées » la Délégation sénatoriale à l’Outre-mer et le Mémorial de l’Histoire de l’Esclavage de Nantes ont organisé au Sénat le 14 novembre 2013 une rencontre animée par Françoise Vergès, chargée de mission au mémorial de l’abolition de l’esclavage de Nantes et chercheur associé au Collège d’études mondiales.
Elle concernait les « Chapitres oubliés de l’Histoire de France » mais aussi les «résistances à l’iniquité, l’injustice et l’exploitation. Car jamais l’accord ne fut total à la violation des droits humains, toujours il y eut des voix qui s’élevèrent, et toujours il y eut des formes de solidarité » a rappelé le texte d’introduction. Françoise Vergès a souligné sa volonté de bousculer la cartographie, de dépasser les frontières hexagonales en considérant différents niveaux : local, national, régional et international, qui seuls permettent de comprendre l’Histoire dans sa globalité.
RESURGENCE DU RACISME
Serge Larcher, sénateur de la Martinique et Président de la Délégation sénatoriale à l’Outre-mer a introduit les présentations suivi par Michel Wieviorka, directeur du Collège d’études mondiales. Ce dernier note que si dans les années 80, le racisme s’appuyait sur un différencialisme biologique, nous sommes aujourd’hui passés à un racisme « culturel » où toutefois des formes de mise à distance archaïques réapparaissent. Des rencontres comme celles-ci permettent de lutter contre l’oubli. La recherche, l’éducation, les commémorations, les musées, le changement par le droit, ont la charge de construire le débat pour faire reculer ces phénomènes de racisme.
NOTRE RAPPORT AU PASSE
L’une de ses préconisations est également d’abandonner le présentisme qui nous enferme dans l’actualité sans lecture du passé ou de l’avenir. Nous devons au contraire entrer dans une dialectique passé-présent qui ne soit pas linéaire tout en sortant de l’histoire nationale. Il faut plutôt appréhender notre histoire d’une manière globale en dépassant le post-colonialisme.
Michel Wieviorka a remarqué trois façons de considérer le passé : l’oubli du passé pour se projeter dans l’avenir ; la mélancolie du passé dont l’un des risques est de s’y enfermer ; seule la dernière posture reflète, selon lui, la position idéale: le deuil permettant de se remémorer le passé sans se plonger dans la mélancolie tout en se projetant consciemment dans l’avenir.
DES CHAPITRES HISTORIQUES SOMBRES ET OCCULTES
Plus d’une vingtaine d’intervenants ont révélé des chapitres oubliés de l’Histoire coloniale : des tragédies occultées telles que l’insurrection de 1947 à Madagascar réprimée dans un bain de sang ; des massacres comme celui de la brigade libre algérienne lors du défilé du 14 juillet 1953 à la Place de la Nation, des déracinements humains tels que la déportation de travailleurs indochinois requis durant la Seconde-Guerre mondiale… De la Polynésie en passant par la Guadeloupe, la Nouvelle-Calédonie, l’Algérie et le Vietnam, ces histoires ont toutes en commun une invisibilisation des luttes des dominés et des colonisés, une occultation des réalités les plus sombres de l’Histoire de la colonisation et de ses effets intrinsèques d’acculturation, de hiérarchisation et de violence.
UNE LUEUR D’ESPOIR
Mais au plus profond de ces évènements sombres, les intervenants ont également fait la lumière sur certaines victoires en révélant par exemple le patrimoine musical des Algériens en exil comme un support politique, en revenant sur l’intégration en pleine Auvergne de rapatriés indochinois après la décolonisation. Les femmes y ont recrée un « Petit Vietnam » grâce à la force du dialogue, des mariages mixtes ont eu lieu, certains villageois parlent le vietnamien et une pagode a été financée par les deux communautés auvergnate et vietnamienne. Les intervenants, en plaçant les dominés au centre de l’Histoire, ont également tenu à leur redonner toute leur place d’acteurs et de résistants face à cet ordre hiérarchique contrairement à l’image passive qui leur est souvent accolée.
UNE « ARCHEOLOGIE DE LA MEMOIRE »
Les interventions ont été clôturées par un éventail de propositions, Laurella Rinçon, conservatrice du patrimoine et chargée de mission à la Délégation générale à la langue française et aux langues de France, a encouragé cette archéologie de la mémoire. Le recueil de la parole a ainsi permis de révéler la relation au pouvoir colonial dans ses résistances. Elle a appelé à la réalisation d’une collecte orale.
Ainsi, ces riches collaborations ont permis d’envisager l’Histoire dans sa pluralité en intégrant les récits de tous ses citoyens et les mémoires issues des divers territoires de la République. « Ce travail de mise en commun apparaît essentiel et urgent alors que xénophobie et frustrations entraînent des phénomènes de repli, de rejet et de division entre citoyens. Il met aussi en lumière la richesse et la complexité d’une Histoire qui s’est déroulée sur plusieurs territoires et qui a produit des mémoires plurielles et complexes de groupes mis en contact. »
Extraits de la présentation
Synthèse : Vanessa Gally, novembre 2014
Pour aller plus loin, visionnez les vidéos des interventions :
http://videos.senat.fr/video/videos/2013/video20368.html
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