Visite de l'exposition "L'art d'être un Homme" au Musée Dapper

Visite de l'exposition "L'art d'être un Homme" au Musée Dapper

 

Les adhérentes de Femmes Au-delà des Mers ont découvert l’exposition « l’Art d’être un homme », en compagnie de Bonny Gabin, attaché culturel du Musée Dapper , le 27 janvier 2010.

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Les récits de ce guide, à la vaste culture, ont fait revivre l’histoire les oeuvres offertes à l’admiration des visiteuses. Á travers ses propos, on  imaginait sans peine l’arrivée des navigateurs européens qui, entre le XVIeme et le XVIIIeme siècle, avaient affronté « le Grand Océan » (le Pacifique) et abordé à ces terres lointaines qu’ils avaient nommées Mélanésie, Polynésie, Micronésie… Le continent de la mer. Ainsi, une cape de plumes a cessé de n’être
qu’une parure vestimentaire de chef de communauté pour devenir le témoin du choc de la rencontre entre les populations autochtones et des Européens incapables de saisir les tenants et les aboutissants de ce qu’ils découvraient. « Ils n’ont pas perçu combien la vie était violente sur ces terres. Les marins ont regagné l’Europe avec des récits idylliques de fleurs, de coquillages et de dames qu’on leur offrait. Ils n’ont pas vu dans les parures des Autochtones, des symboles. Ces parures étaient réalisées en vue d’un seul événement. Ensuite, elles étaient brûlées, a poursuivi Bonny Gabin.

dapper-gabin Visite de l'exposition "L'art d'être un Homme" au Musée DapperOn savait trop bien, sur ces terres d’Océanie, qu’il suffisait d’une vague pour tout perdre et l’on ne façonnait pas un objet pour qu’il dure. Ce sens de l’éphémère imprégnait la vie quotidienne et l’imaginaire de ces populations. Mais pour être éphémères, certaines parures n’en étaient pas moins rares. Ainsi, il n’était pas donné à n’importe quelle caste de pouvoir commander pour son chef, une cape de plumes, laquelle nécessitait le sacrifice de 5000 oiseaux ! Avec l’arrivée des Européens, le développement du système de troc – échange par exemple d’une coiffe de plumes contre des outils, des clous. – a déstabilisé les habitudes des Autochtones qui se sont mis à capturer des oiseaux pour faire du troc, jusqu’à la disparition des oiseaux… » Outre les plumes des oiseaux, pour réaliser les parures, on utilisait les produits de la mer, notamment des coquillages, des dents et arêtes de poissons, des pinces de crustacés, mais aussi les carapaces de tortues marines. Sur terre, on avait recours à de nombreux végétaux ; aux poils, aux dents et aux griffes de petits mammifères (opossum, chauve-souris) et de plus gros, tels les chiens et les porcs. On utilisait également poils, cheveux, dents et os humains. « Non seulement, les Européens vont assécher les ressources de ces îles en matière de parures, mais surtout, ils vont contribuer à la disparition des savoirs traditionnels en imposant leur mode d’organisation du travail et de la vie quotidienne avec déplacements de populations utilisées comme main d’oeuvre.» a conclu Bonny Gabin qui, soulignait du même coup, mais sans le formuler, combien étaient rares, ces bijoux, ces coiffes, ces parures vestimentaires, propriétés de collectionneurs européens et américains et témoins exceptionnels d’un passé auquel s’est substitué un artisanat nourri de verroterie.

« Contrairement à l’Océanie, l’Afrique subsaharienne a toujours eu des contacts avec le monde extérieur, avec l’Europe, entre autre. Il ne s’agissait pas d’un univers fermé sur lui-même comme l’était l’Océanie avant l’arrivée des Européens. Aussi l’art africain a-t-il mieux résisté, s’enrichissant aisément d’éléments extérieurs à ce continent, comme en témoigne, dans cette exposition, une statue urhobo (Nigéria), coiffée d’un gibus ! » a averti Bonny Gabin en entraînant son auditoire au-devant des oeuvres d’origine africaine.

dapper-mélanésie Visite de l'exposition "L'art d'être un Homme" au Musée Dapper

Mélanésie Ornement pectoral et facial Canines de porc, graines d’Abrus precatorius, fibres de bois.

La nudité des Africains, comme plus tard, la découverte de la nudité des Océaniens, surprenait fort les Européens qui ne concevaient pas que ces peuples aient pu avoir une perception du corps humain, différente de la leur et néanmoins civilisée. « La nudité de l’homme était très importante, car elle permettait de montrer qu’il était bien un homme, a expliqué Bonny Gabin. En effet, on attendait de lui qu’il soit fécond pour que la terre
soit généreuse, le sexe masculin signifiant la progéniture à venir et garantissant par là même que le peuple continue à pouvoir féconder la terre pourvoyeuse de nourriture. La parure concernait surtout le tronc et la tête, cette dernière prenant une importance primordiale dans la représentation symbolique des cultures tant africaines qu’océaniennes. Ainsi on conservait des chevelures pour en orner des masques, des coiffes, parce qu’on pensait que c’était par les cheveux que passait la force des individus.

dapper-congo-coiffures Visite de l'exposition "L'art d'être un Homme" au Musée Dapper

République démocratique du Congo
Coiffures royales
Fibres végétales, perles et cauris

Le nombril, quant à lui, pouvait être traité de manière à exprimer le lignage d’un individu.  «Les Européens découvraient les tatouages et les peintures corporelles avec tout autant d’étonnement que la nudité. Les tatouages étaient beaucoup plus répandus en Océanie qu’en Afrique où l’on recourait davantage aux peintures corporelles et aux scarifications. Le terme de tatouage, employé aujourd’hui, est du reste, d’origine océanienne, tahitienne
plus exactement.»
Peuples d’un vaste continent, qu’ils aient été sédentaires ou nomades, les Africains créaient des parures et des objets faits pour durer. « Les nomades portaient sur eux ce qui leur paraissait être précieux », précise Bonny Gabin. Et, bien entendu, les peuples d’Afrique avaient plus de ressources textiles que ceux d’Océanie. « Transformer une plante en étoffe
était considéré comme un acte de création nécessitant la médiation de puissances surnaturelles, poursuit-il. Le tissage était donc une activité réservée aux hommes, les femmes étant chargées de la teinture des étoffes.
Des chants accompagnaient le travail du tisserand. Suivant les régions,
on tissait le coton ou le raphia ». Bonny Gabin a ainsi raconté l’Afrique et l’Océanie, s’attardant sur le rôle du vautour et de l’hyène dans l’imaginaire de peuples d’Afrique de
l’Ouest, de l’aigle dans celui de peuples de l’Afrique centrale, sur la place du cheval dans l’histoire des Peuls, sur le rituel de la désignation du chef de communauté dans la riche région ouest du Cameroun, sur les rois et les reines du Bénin dont, après la mort, on moulait les têtes dans le bronze…

dapper-congo Visite de l'exposition "L'art d'être un Homme" au Musée Dapper

République démocratique du Congo
Collier dents de léopard et perles de verre

Puis, il est revenu à la parure pour parler des Sapeurs du Congo : « Ce sont des jeunes gens engagés dans l’armée française pendant la seconde guerre mondiale qui, de retour au pays, ont créé ce mouvement. Depuis peu, les femmes sont admises dans cette mouvance à condition qu’elles s’habillent en homme, avec costume, chapeau et cigare. »
Les deux ouvrages édités par le musée Dapper permettent d’approfondir la découverte de ces cultures et de découvrir ou de redécouvrir les magnifiques objets savamment mis en scène lors des deux expositions évoquées plus haut, notamment les sculptures, admirables témoins de ces civilisations.

 

Deux ouvrages à découvrir :
Femmes dans les arts d’Afrique, et L’art d’être un homme – Afrique, Océanie.

dapper-livres Visite de l'exposition "L'art d'être un Homme" au Musée DapperOn doit ces deux ouvrages à Christiane Falgayrettes-Leveau, spécialiste des arts et  littérature de l’Afrique sub-saharienne, devenue la très dynamique directrice du musée Dapper*. On ne compte plus les événements qui lui ont permis de rassembler, autour d’oeuvres remarquables, nombre d’amoureux de l’imaginaire des peuples d’au-delà des mers. On retiendra, notamment, en 2008, l’exposition consacrée à la femme dans les arts d’Afrique, puis, en 2009, l’exposition consacrée à l’art d’être un homme en Afrique et en Océanie. Les deux ouvrages** qui ont accompagné ces événements, ne sont pas de banals catalogues rédigés dans le but de guider les pas du visiteur, mais bien plutôt une initiation à la vie des communautés d’où ont émergé les artistes inconnus qui ont su transcrire dans leurs créations le mode de pensée des leurs. La somptueuse illustration de ces livres d’art se conjugue à la richesse de l’approche ethnologique des spécialistes* qui ont apporté leur concours à Christiane Falgayrettes-Leveau pour la réalisation de ces ouvrages.

Ces livres permettent en outre de saisir la continuité culturelle existant entre le lointain autrefois, l’hier et l’aujourd’hui : on y découvre que mises à mal par l’irruption de la technologie des pays industrialisés dans des sociétés dénaturées par le système colonial, puis soumises à l’emprise de la modernité, ces cultures continuent quand même à travers les diverses formes d’expression de la fête et de la création artistique. Comme en témoignent les images de la photographe Angèle Etoundi Essamba qui viennent clore le volume des Femmes dans les arts d’Afrique, images. de femmes noires d’aujourd’hui,  «femmes-statues, [… ] femmes tout en ventre, […] femmes avec enfant, celles qui font se perpétuer le monde », pour reprendre les propos de Christiane-Falgayrettes-Leveau. Dans l’Art d’être un homme, cette auteure a confié la plume à l’ethnologue Ina Césaire pour nous introduire dans la symbolique du carnaval martiniquais. « Je suis persuadée, écrit Ina Césaire, que le carnaval martiniquais, mêlant le profane au sacré, n’est autre que l’expression théâtralisée de la vie sociale. Il en constitue un temps fort et traduit par un traitement parodique […] les problèmes culturels, religieux, raciaux ainsi qu’économiques. » Puis, Christiane Falgayrettes-Leveau a chargé Alain Mabanckou, professeur de littérature francophone à l’Université de Californie-Los Angeles,
UCLA, et écrivain, auteur des Mémoires de Porc-épic (Prix Renaudot 2006, éditions du Seuil), nous présenter les Sapeurs Congolais. Pour Alain Mabanckou, la SAPE (Société des Ambianceurs et des Personnes Élégantes) est bien davantage qu’ « un simple mouvement de jeunes Congolais qui s’habillent avec un luxe ostentatoire […] Elle est, d’après les Sapeurs, une esthétique corporelle, une autre manière de voir le monde – et, dans une certaine mesure, une revendication sociale d’une jeunesse en quête de repères. Le corps devient alors l’expression d’un art de vivre. » relève-t-il. Or, la parure masculine en Afrique sub-saharienne et en Océanie a bien été de tout temps, l’expression d’un art de vivre, les Sapeurs adaptant le costume occidental à leur sensibilité culturelle propre. En bref, ces livres témoignent de la vigueur de cultures que le mode de vie occidental a parasitées sans en anéantir l’expression artistique.

* « Olfert Dapper (1635-1689) était, semble-t-il, un médecin hollandais qui vivait à Amsterdam. Il collectait les récits des marins de retour d’Afrique subsaharienne, un continent où jamais il ne posa le pied. Mais il fit de ces récits un livre qui eut un succès énorme et fut traduit en cinq langues », relate Bonny Gabin. Pour en savoir plus, se reporter à O.Dapper, in Description de l’Afrique, Éditions Dapper 1989. Il s’agit aujourd’hui encore d’un ouvrage fondamental pour les africanistes.

**Femmes dans les arts d’Afrique. (éditions Dapper, 2008)
Les auteurs : Christiane Falgayettes-Leveau, directeur du musée Dapper, spécialiste des arts et des littératures de l’Afrique subsaharienne. Marc Étienne, conservateur du patrimoine, docteur en Égyptologie, archéologue et conservateur au département des antiquités égyptiennes du musée du Louvre. Il en- seigne l’archéologie et l’épigraphie égyptienne à l’École du Louvre. Jean-Paul Colleyn, docteur en anthropologie, spécialiste du Mali et réalisateur de films documentaires. Directeur d’études à l’EHESS, il y dirige la division « Audiovisuel » et la formation « L’image en sciences sociales » Anne-Marie Bouttiaux, conservatrice en chef de la section d’Ethnographie au Musée royal de l’Afrique centrale, à Tervuren, spécialiste des cultures de l’Afrique centrale en général et de l’art guro en particulier. Christiane Owusu-Sarpong, ethnolinguiste, docteur en linguistique, sémiotique et communication. Jusqu’en 2001, elle a été professeur associé à l’Université de Kumase  (KNUTS), Ghana. Stefan Eisenhofer, docteur en Ethnologie, historien, conservateur en chef du département Afrique du Staatliches Museum für Völkerkunde de Munich. Ses domaines de recherches couvrent les arts du Nigéria, du Ghana et de l’Afrique du Sud. Karin Guggeis, ethnologue et historienne de l’art africain, assistante aux Archives du Staatliches Museum für Völkerkunde de Munich et spécialiste des notions de genre.

**L’Art d’être un homme – Afrique,Océanie (éditions Dapper, 2009)
Les auteurs : Christiane Falgayrettes-Leveau, directeur du musée Dapper, spécialiste des arts et des littératures de l’Afrique subsaharienne. Anne van Cutsem-Vanderstraete, historienne de l’art et auteure de plusieurs ouvrages sur les parures ethniques. Alfred Adler, spécialiste du Cameroun et du Tchad, directeur d’études émérite à  l’École pratique des Hautes Études de Paris (section Sciences religieuses). Gilles Bounoure, critique d’art, collaborateur du Journal de la Société des Océanistes et ancien collaborateur de la revue Arts d’Afrique noire, arts premiers (aujourd’hui disparue). Ina Césaire, docteur en Ethnologie, spécialiste de la littérature orale antillaise, écrivain et réalisatrice de documentaires. Alain Mabanckou, écrivain et professeur de Littérature francophone à l’Université de Californie –Los Angeles, UCLA. Il a reçu le Prix Renaudot en 2006 pour son
roman Mémoires de Porc-épic (Éditions du Seuil).

 

Texte Monique Raikovic mis en page par Michèle Hirou

FAM

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