Maryvette BALCOU

Maryvette BALCOU

« L’Outre-mer pour (re)penser l’Occident »

 

maryvette balcou Maryvette BALCOU

Entretien et portrait par Fabienne Leloup

Née en Bretagne en 1957, Maryvette Balcou est une intellectuelle. Et une grande voyageuse. En 1990, elle arrive à la Réunion. Elle va y être formatrice dans un centre de lecture-écriture. Puis universitaire, enseignante et écrivain, « profession qui (lui) permet de voyager encore plus loin, en découvrant la complexité des fonctionnements humains et sociaux ».

L’un de ses compatriotes, le poète brestois, Victor Segalen (1878-1919) avait choisi la Chine pour écrire, dénoncer le clinquant de l’exotisme et repenser l’ailleurs. Et posé cette question fondamentale : « L’imaginaire déchoit-il ou se renforce-t-il quand il se confronte au réel » ?
Maryvette Balcou donne sa réponse.

L’espoir : «J’ai toujours cru dans la possibilité de changer le monde…»

Un optimisme mâtiné de pragmatisme.
D’où un va-et-vient permanent entre des travaux sur le terrain (ateliers d’écriture avec des femmes en prison, avec des élèves de ZEP…) et des écrits personnels. Des nouvelles. Et de multiples récits pour la jeunesse, aux éditions Tropicante. Et récemment, un roman, au titre évocateur, Le Racommodeur de poussières, aux éditions La Cheminante. Mention spéciale du prix ADELF 2009 (Association des écrivains de langue française) remise à l’UNESCO, au Salon du Livre de Paris, en mars 2010.

maryvette balcou nb Maryvette BALCOU

Tout un programme ! Oui, Maryvette Balcou est une « racommodeuse » d’âmes, les âmes des disgraciés de la vie. Qui existent aussi en outremer. Comme partout. L’écriture est par conséquent pour elle, un acte de foi. En l’homme. Dans les cultures métissées.
« Je crois dans l’écriture, capable de participer à cette prise de distance indispensable pour ne pas se perdre dans un monde foisonnant de sollicitations contradictoires ».
Un credo qui lui permet de soutenir toutes les actions des femmes en outremer. Par ses conférences, ses prises de position, ses textes.
Inlassablement.
Un credo sans nostalgie de l’Eden.

Maryvette a gardé une maison en Bretagne pour bâtir à la Réunion, un temple de papier, où s’accordent les piments « doux ou amers », avec les mots colorés d’un monde plein.

Comment voyez-vous le rôle de la femme d’Outre-mer et son implication dans la société ?

 

Pour moi, le rôle de la femme n’est autre que celui de tout être humain qui vit avec d’autres, et non pas à côté d’eux. En ce sens, il y a beaucoup à faire pour écouter, observer, chercher à comprendre et à construire ensemble, en respectant « l’être bien » collectif. Souvent très impliquées dans l’éducation, les femmes ne mesurent peut-être pas toujours l’importance de ce qu’elles font et apportent à l’ensemble des groupes dans lesquels elles s’inscrivent. L’écriture participe de cette prise de conscience et de distance, mais ce n’est pas la seule voie, même si c’est celle que je privilégie. Je vois autour de moi des femmes qui osent se réveiller et hisser leurs combats sur les hauteurs de l’espace public. C’est porteur. Les femmes doivent cesser de travailler dans les coulisses. Elles doivent investir la scène du théâtre de la vie car en plus de leurs compétences, elles peuvent y apporter leurs couleurs, leurs textures et leurs parfums. En outremer, elles disposent de tous les ingrédients pour renforcer leur rôle et donner encore plus de saveur à la vie : les piments doux ou amers, le coriandre, les cultures métissées, les peaux cuivrées, le soleil commun et les étoiles de la nuit.

 

Parlez-nous d’un objet, de votre patrimoine unique et privé, auquel vous tenez et qui, à vos yeux, symbolise vos racines, marque votre parcours et révèle ce que vous souhaiteriez transmettre.

 

Si ma maison bretonne peut être considérée comme un objet, alors c’est elle que je désigne… Elle a les pierres de l’ancrage au pays et les ardoises solides qui font rempart contre les mauvais vents. Ses murs épais protègent du froid et des agressions de la vie. Ses fondations arpentent la terre comme autant de racines qui la feront tenir debout, longtemps. Sa cheminée réchauffe les âmes les plus meurtries. Elle séduit par son charme puisqu’elle n’est bâtie comme aucune autre maison. Spacieuse et simple à comprendre, elle s’étend sur les berges d’un estuaire qui s’embellit au gré des marées. Elle est entourée d’arbres et d’oiseaux. Elle a le goût du sel et les couleurs du monde dans ses grains de granit. Parce qu’elle peut traverser les siècles et les pires tempêtes, elle s’impose comme une architecture de choix qui s’apprécie à travers chaque mot, en silence et dans la durée.

 

Quelle femme au-delà des mers êtes-vous ? (Cultures d’influences : territoires, auteurs, philosophes, rencontres…)

 

J’ai eu la chance de voyager beaucoup, depuis mon adolescence. Ce sont ces expériences plurielles qui ont fini de me construire comme je le suis actuellement car c’est mon enfance qui m’a « pétrie » pour une large part de ma vie. L’enfance en Bretagne m’a donné des valeurs, comme autant de sillons durables dans lesquels je poursuis ma vie. Les voyages et les humains rencontrés m’ont permis de poursuivre la transformation de ces valeurs en savoirs penser et agir. J’ai été marquée par les façons de vivre des artistes parisiens en Bretagne, par la découverte du continent africain et de façon plus tardive, par l’Asie. J’ai eu le sentiment d’avoir découvert le berceau du monde en Namibie, des richesses architecturales et culinaires en Thaïlande, des profondeurs humaines derrière chaque sourire à Madagascar, des humains engagés à Cuba. Dans mes lectures, je ne compte plus les influences car elles sont nombreuses… Je citerai néanmoins la fascination exercée par l’écriture de Sylvie Germain et l’incroyable découverte du travail de Pippo Del Bonno et de Jan Lauwers. J’ai lu les travaux de Goffman, Watzlawick, Goody et Lahire jusqu’à plus soif. Et pour agir avec en arrière-plan la force de ces maîtres à penser, j’écris, je cherche et je tente de créer l’impossible…

Mars 2012

FAM

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