Mauricienne FORTINO

Mauricienne FORTINO

« Mauricienne Fortino, la porteuse de traditions »

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Entretien et portrait par Tchisséka Lobelt

Crédit photos : Julien Salaud

 

Conteuse traditionnelle amérindienne d’origine Palikour, auteur de plusieurs ouvrages, Mauricienne Fortino est porteuse de tradition.

De mère amérindienne et de père créole, Mauricienne Fortino est originaire de St Georges de l’Oyapock, commune frontalière du Brésil, située à l’Est de la Guyane. C’est sans doute son métissage et son vécu qui l’ont conduite à s’investir, comme le souhaitait sa mère, avec autant de fougue dans la culture palikour.  Elle est d’ailleurs la seule parmi ses  sœurs à se battre pour cette culture pour laquelle elle œuvre sans relâche depuis bon nombre d’années.

 

 

Première femme chef coutumier de Guyane

Rien ne laissait présager que cette femme, belle, élégante, dynamique, allait devenir en 1991 la première femme chef coutumier du village kamuyuneh (enfant du soleil). Et pourtant elle le restera jusqu’en 1996. Dans la communauté amérindienne un chef coutumier fonctionne comme un maire, il règle les affaires courantes du village, gère les conflits et le cas échéant s’occupe des papiers administratifs. Ainsi Mauricienne Fortino a eu la charge d’obtenir auprès des autorités françaises  la régularisation des papiers pour ses administrés venant du Brésil. « Un travail de longue haleine », reconnaît-elle. En 1996, elle démissionne, « ça  n’allait pas comme je voulais », dit-elle déterminée. Néanmoins, elle continue d’animer très activement et jusqu’à ce jour l’association Kawyeneh de Macouria.

Cette association travaille à la survivance des traditions et des croyances qu’elle entend consolider à la faveur de ces diverses animations comme des stages de danse pour enfants dans les écoles. Ambassadeurs de la culture palikour, ses membres sont invités dans les communes de Guyane mais aussi hors des frontières en France hexagonale, en Martinique, en Guadeloupe et au Surinam pour  présenter lors de spectacles,  danses, chants, contes et artisanat.

Parmi les six nations amérindiennes de Guyane, la communauté Palikour se distingue par sa langue qui fait l’objet de recherches de la part de chercheurs du CNRS tels que Michel Launey qui a rédigé une grammaire en collaboration avec Mauricienne Fortino. (IRD édition 2003). Environ  2 000 personnes  réparties sur différents villages de Guyane, à Macouria, Régina et St Georges de l’Oyapock et également dans l’état du Para au Brésil composent la communauté palikour.

 

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Le conte, un moyen de conserver la tradition

Mauricienne Fortino est également l’auteur de plusieurs livres de contes. Depuis son plus jeune âge au village Espérance de St Georges de l’Oyapock, elle s’intéresse aux contes. « Plus tard, j’ai décidé de les écrire. J’ai commencé ce travail de collecte en 1993, depuis quatre livres sont parus :

Makawen,

Les neuf chamanes et le maître de la pluie,

L’ancien et le Wahamwi,

Le tigre, le singe et l’homme – ce dernier en quatre langues. 

« La collecte de contes est d’abord un va-et-vient », explique-t-elle. La plupart du temps, elle se rend chez un ancien qui ne s’exprime qu’en palikour pour recueillir le conte dont  elle fait la traduction en français puis retourne le faire valider auprès du conteur.

Bien que confrontée à la difficulté de faire publier des contes illustrés en trouvant un éditeur, Mauricienne Fortino  ne se décourage  pas car elle est persuadée du bien fondé de cette transmission. Elle a du s’imposer dans la société traditionnelle amérindienne où les femmes ne prennent  pas la parole en public. Mais sa position de chef du village lui conférant un statut particulier, peu à peu les habitants sont venus régulièrement  écouter ses contes. Aujourd’hui, les jeunes s’y intéressent et assistent aux soirées contes.

«  Dans notre culture le chaman tient un rôle très important, nous croyons aux êtres surnaturels qui vivent dans des mondes parallèles,  mais aujourd’hui nous sommes confrontés à des religions. L’évangélisation a pris le dessus et est entrée dans les villages. En sorte que le chef coutumier est mis de côté. Avant il y avait moins de problèmes, les parents avaient plus d’autorité. Aujourd’hui nous sommes confrontés à une forme d’acculturation, les jeunes Amérindiens ne se retrouvent plus. Ils ont honte de parler leur langue. Il est devenu difficile de leur faire prendre  conscience des valeurs de notre culture. Il faut être fier de ce qu’on est. C’est ce qui m’encourage à agir en faveur de cette valorisation de la culture palikour».

 

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Au quotidien, Mauricienne Fortino  travaille depuis 4 ans dans un centre médico-social en tant que médiatrice culturelle. Elle intervient aussi auprès des malvoyants et  handicapés. « Les Amérindiens ont su conserver leur culture et leur langue, tout en y associant les apports extérieurs comme envoyer les enfants à l’école. Je considère que c’est une richesse.  Nous sommes une minorité,  c’est pourquoi j’ai travaillé avec  Michel Launey  sur une grammaire de la langue palikour. Aujourd’hui, il arrive de plus en plus souvent que les enfants refusent de parler leur langue, ils ont honte, et pourtant c’est un atout. Je pense que tôt ou tard il y aura un déclic. Il est  récent d’avoir des instituteurs issus de notre communauté car beaucoup de nos enfants n’arrivent même pas au collège. Il y a des difficultés  d’adaptation, il faut donc les  préparer, avec l’aide des médiateurs qui travaillent avec les enfants et les familles. A l’avenir, il faudrait expliquer la culture aux enfants, reprendre les valeurs, et bannir l’individualisme qui domine. C’est pourquoi il faut continuer à dire des contes, à les  faire écouter  aux enfants pour faire leur éducation ».

Dans son association, Mauricienne Fortino œuvre aussi  pour la valorisation des tenues traditionnelles réalisées actuellement en tissu alors qu’avant elles étaient ornées de plumes. « Toutes nos parures, colliers, instruments de musique sont décorés avec des plumes dont l’utilisation est interdite dorénavant. Pour nous il est difficilement concevable de les remplacer  par des plumes  artificielles.

Nous avons toujours chassé et consommé avec modération. On n’a jamais tué des animaux juste pour récupérer les plumes. La chasse n’est plus praticable. On nous a donné des zones de subsistance pour travailler sur les abattis. Nous sommes habitués à la culture sur brûlis qui nécessite une mise en jachère et par conséquent de nous déplacer. Aujourd’hui  ça devient très compliqué et on nous pousse à tout abandonner alors qu’il faut inciter les gens à maintenir l’artisanat. Tout comme notre cuisine à base de manioc qui accompagne les plats traditionnels composé de viande ou de poisson et servis avec du couac ou de la cassave, de boisson de ouassaille et de jus de comou ».

 

La langue, vecteur de la transmission

Pour Mauricienne Fortino la langue est l’élément fondamental  de la transmission. Elle permet aux jeunes d’avoir confiance en eux et de connaitre les traditions. Grâce à la langue, on peut tout transmettre : les contes, l’art de la vannerie, comment faire un manaré (tamis), un pagra (panier), un katouri (chapeau), un éventail.  Consciente de l’importance de la transmission, Mauricienne Fortino œuvre sans relâche pour que survivent les fondamentaux de sa communauté.

 

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Bibliographie :

 

Le Tigre, le Singe et l’Homme
Conte de Guyane
Quadrilingue français-créole-palikur-portugais
Odile Armande-Lapierre, Francis Batista, Mauricienne Fortino, Michel Launey – Illustrations de Catherine Vaillant

 

L’ancien et le Wahamwi

Edition bilingue palikur-francais

Mauricienne Fortino, Nicole Launey

 

Contes / Légendes

L’harmattan, octobre 2008

 

Les neuf chamanes et le maître de la pluie, récits Palikur de Guyane

 

Contes / Légendes

 L’harmattan, mars 2007

 

Makawem, le roi des corbeaux à 2 têtes

 

Contes et récits d’outre-mer

Récit Palikour traditionnel de Guyane

Mauricienne Fortino – Introduit par Nicole Launey

Edité par le CRDP de Guyane 2005

 

Janvier 2013

FAM

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