« Je suis une épicurienne »
Entretien et portrait par Tchisséka Lobelt
Il est bien loin le temps où la Guyanaise Monique Blérald voulait devenir juge pour enfants. Un rêve d’adolescente. Aujourd’hui cette fam djok *, maître de conférences à l’Université Antilles-Guyane se passionne pour la Culture. Danse, musique, traditions populaires sont ses centres d’intérêt. Par monts et par vaux, entre ses cours à la fac de Cayenne, ses recherches et les livres qu’elle écrits, prendre également un peu de temps pour elle, pour son épanouissement personnel en tant que femme est tout aussi important. « Mes weekends sont sacrés », assure-t-elle. C’est un moment privilégié que la mère de deux filles et la grand-mère d’une petite fille consacre aux siens.
Ayant abandonné son rêve d’enfance, Monique Blérald obtient son bac à 17 ans, prend des cours de droit « trop rébarbatif » à ses yeux, puis s’inscrit à l’Ecole normale. Elle enseigne en primaire pendant trois ans mais finalement annonce fièrement à ses parents qu’elle a décidé de s’envoler pour Paris poursuivre ses études.
Sa passion pour les Lettres, grâce notamment à des professeurs comme Léone Michotte, n’a d’égal que son attachement pour les traditions populaires. Elle sera donc professeur de littérature mais surtout s’affirme en tant que femme de culture. « J’aime la vie. Je suis une épicurienne. J’aime l’art, la culture, les expositions, le cinéma, les voyages, la joie de vivre …
Lorsque j’arrive dans une ville, je me rends aussitôt dans une librairie, une bibliothèque, à l’office culturel pour découvrir les spectacles et tous les événement culturels du moment ».
Monique Blérald a suivi tout le cursus de l’enseignement : institutrice, professeur au collège, puis au lycée, maître de conférences à l’UAG. Elle consacre sa thèse à Maryse Condé intitulée « Féminisme, quête de l’ailleurs, quête de l’autre dans l’œuvre romanesque de Maryse Condé» et soutenue à Bordeaux en 2000.
Inspecteur d’académie en Lettres et en Langues et cultures régionales de 2009 à 2011, elle en charge 450 professeurs de français à travers toute la Guyane. « Cela m’a permis de connaître les problématique liées à l’éducation et aux femmes, ainsi que les problèmes des adolescents. L’expérience fut très riche ». De retour à l’université Monique Blérald a repris ses recherches.
Une féministe modérée
Quand on l’interroge sur ses combats, Monique Blérald se voit comme une « Jeanne d’Arc noire » sur son cheval défendant les valeurs de la Guyane. « J’en ai pris conscience lors de mon séjour aux Etats-Unis. Je vivais en Louisiane : française, européenne, sud-américaine et surtout créole, j’étais tout à la fois. Là-bas je me suis retrouvée puisqu’on y parle, on y mange créole (beans, gombo, carnaval).On m’appelait cousine et c’est là que j’ai compris ce que voulait dire être créole ».
Elle séjourne en Louisiane pendant deux ans, enseignant le français et la littérature francophone à Lafayette aux élèves, aux étudiants et aux professeurs. Elle vit le cyclone Katrina. Mais son combat consiste à promouvoir la Guyane amazonienne et ses spécificités à travers la Francophonie. Elle intègre alors le CIEF (Conseil International des Etudes Francophones), dont le siège est à Atlanta et qui regroupe 600 professeurs et écrivains. Elle promotionne la francophonie au sein de cette association tout d’abord en tant que Vice- Présidente (2007 à 2009) puis en tant que Présidente (2009 à 2011). En 2007 Monique Blérald réunit 300 universitaires en Guyane pour le colloque du CIEF.
« Je suis une féministe modérée. Je prône la théorie développée dans XY par Elisabeth Badinter ; c’est-à-dire la femme étant complémentaire de l’homme. J’estime que la femme a besoin de respect et de dignité ».
Un temps élue municipale (chargée des affaires culturelles de 2000 à 2004) de la ville de Matoury, elle travaille sur la Biennale du Marronnage (Femme et marronnage), invite dans le cadre de cet événement culturel Calixte Beyala, monte un projet de maison de la culture (le Centre ressource des arts et traditions populaires de Matoury) pour valoriser les différents savoir-faire traditionnels. L’idée c’était de créer un outil économique pour sortir les femmes du chômage en leur permettant de travailler dans le domaine de l’artisanat, de la vente des produits ou autres ; mais aussi de valoriser les cultures artistiques des différentes communautés culturelles de la Guyane.
Début 2012, Monique Blérald sort deux livres. « Musique et danses créoles au tambour » (éd. Ibis rouge), un ouvrage épuisé qu’elle a actualisé, où sont répertoriés tous les groupes musicaux guyanais de 1940 à nos jours. A l’heure actuelle, nous sommes dans le« revivalisme (regain pour le folklore) » pourquoi revient-on à la tradition ? Elle s’en explique : de plus en plus on a besoin de se rattacher aux valeurs identitaires. On constate une perte des repères, des symboles ancestraux face à la mondialisation .
Issue d’une famille où les traditions populaires ont une très grande place -sa mère dirigeait un groupe de danses traditionnelles, le groupe Wapa- dès l’âge de 3 ans elle est « tombée dans la marmite ». Très tôt Monique collecte les musiques et les danses auprès des aînés. Son groupe Kalawang se démarque des autres groupes traditionnels puisque elle y stylise les danses, les costumes et les chorégraphies prenant en compte les attentes des jeunes.
Son second ouvrage « Le Carnaval guyanais. Traversée littéraire » (éd. Nestor), est un essai en deux parties qui analyse les textes littéraires guyanais portant sur le carnaval.
2012, année Damas est l’occasion de réfléchir sur l’œuvre de grand poète guyanais, cet oublié de la Négritude, au cours d’un colloque mis en œuvre par l’Université des Antilles -Guyane sous la houlette de Monique Blérald.
Femme organisée qui parvient très bien à faire face à toutes ses responsabilités Monique Blérald a comme maître- mot rigueur et aussi liberté. «Je suis déterminée et ne me laisse pas faire. Je suis aussi parfois une femme-enfant très capricieuse. Mon entourage me reproche même d’être parfois précieuse. En fait, j’aime le raffinement. J’ai horreur de la vulgarité. Je n’aime pas les contraintes, mon animal favori est le papillon ». Tout un symbole !
Qu’est-ce que la transmission pour vous ?
C’est faire preuve d’humanisme. Des mots très importants pour moi : la générosité et l’amour. Il est hors de question que je garde les données que me transmettent les Gangan ( les Anciens). Un principe : je donne, je transmets ce que les Anciens ont bien voulu me confier. Je suis juste un canal.
Un objet que vous affectionnez :
Le livre. Cet objet renvoie à la liberté, à la communication. Il permet aussi l’introspection. Il me permet de voyager, de traverser des espaces, des époques, de rencontrer des personnages – fictifs ou réels-Je peux rêver, m’évader, mais aussi m’instruire. Le livre me permet de dialoguer avec moi-même, quand je suis dans le doute ou quand je suis triste. C’est un objet multifonctionnel.
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