« Il vaut mieux s’être trompé que de n’avoir pas osé. »
Entretien et portrait par Annie Heminway
Véronique Doumbé est née et a grandi en France, puis au Cameroun et en Côte d’Ivoire, avant de s’installer aux États-Unis. Sa mère et sa grand-mère martiniquaises lui ont transmis la passion pour les contes antillais qu’elle souhaite adapter au cinéma. D’abord monteuse, elle a travaillé pour la télévision, puis le cinéma. Elle a réalisé quelques courts-métrages tels que Portrait of an Artist : Ray Grist en 1982, et Carnaval Foyal en 1983 sur le carnaval de Fort-de-France. En 1987 et 1988, Véronique Doumbé a enseigné la production et la post-production vidéo en Martinique. En 1990, elle a créé Ndolo Films, LLC, un studio de montage vidéo. Peu après, elle a tourné son premier film sur le batteur Denis Charles, récompensé par de nombreux prix. Peu à peu, son style a évolué du documentaire à la fiction, comme en témoigne son dernier court-métrage intitulé Luggage. Ce film a été projeté, en 2007, au Festival de Cannes ainsi qu’au Urban World Vibe Film Festival de New-York.
Dans quelle mesure vos origines martiniquaises ont-elles influencé votre carrière ?
Je ne peux pas vraiment parler d’influence sur ma carrière mais j’ai eu l’opportunité d’animer à deux reprises un atelier de vidéo à Fort-de-France pour des jeunes de 18 à 25 ans. C’était il y a une vingtaine d’années.
Envisageriez-vous d’adapter au cinéma des contes ou des romans de la Caraïbe ? Si oui, à quels écrivains pensez-vous ?
Le soir, ma grand-mère maternelle alternait entre Les Misérables de Victor Hugo ou un conte martiniquais qu’elle nous racontait à mes deux frères et à moi en partie en créole. Compère Lapin était souvent de la partie. J’aimerais bien adapter un de ces contes au cinéma.
Dans le prologue de L’homme invisible, Ralph Ellison a écrit : « Je suis un homme qu’on ne voit pas. […] Je suis invisible, comprenez bien, simplement parce que les gens refusent de me voir ». Votre métier vous a-t-il permis de lutter contre cette invisibilité ?
J’ai pris conscience très jeune de ma différence. Mon père est camerounais et ma mère martiniquaise. La notion d’invisibilité existe aussi lorsque l’on est de la même couleur. On doit être l’un ou l’autre. Donc l’un doit s’effacer. Je me sens souvent à contrepied avec les uns et les autres non du fait de ma couleur mais du fait de mes idées. D’une certaine façon, mon métier de réalisatrice me permet de lutter contre « cette invisibilité ». À travers mes films, je traite de sujets qui m’interpellent comme l’adolescence, la transmission, l’exil(1).
En tant que monteuse, comment vivez-vous votre métier au quotidien?
Le montage, c’est ma passion. C’est le moment de vérité où les intentions doivent se retrouver. Le producteur avec lequel je travaille en ce moment m’appelle « Docteur miracle ». Je ne fais pas de miracles. Mon grand plaisir c’est de voir la réalisatrice ou le réalisateur retrouver son histoire mais aussi de l’amener à découvrir des nuances qui lui on échappé parce que trop proche de sa réalisation.
Je monte avec des réalisateurs aux USA mais aussi en Afrique. Pour le dernier long métrage sur lequel j’ai travaillé, le réalisateur était au Rwanda, à Kigali. J’étais à New York,. Il m’a envoyé copie de son film sur disque dur et je lui renvoyais les scènes par email. Nous parlions aussi sur Skype. Il y a des années cela aurait été impossible. La distance n’a aucune importance si on est sur la même longueur d’ondes.
Quel rôle aimeriez-vous jouer auprès des femmes du monde entier, notamment auprès des jeunes ?
Je dis souvent aux jeunes femmes que je rencontre que ma trajectoire n’a pas été linéaire. Je ne savais pas que je deviendrais cinéaste. J’ai une licence en Droit. On a le droit de changer d’avis. Et tous les acquis précédents sont importants. Rien ne se perd.
Il faut se dire « pourquoi pas » surtout lorsqu’autour de soi l’on n’entend que « pourquoi? ». Il faut suivre son destin. Le sien et non celui que les autres veulent tracer pour vous. On accomplit, parfois on tombe, mais on se relève. Ce qui est important c’est de faire, de vivre sa vie comment on l’entend. Il vaut mieux s’être trompée que de n’avoir pas osé.
Qu’aimeriez-vous transmettre aux générations à venir ?
Les générations à venir ont un avantage que nous n’avions pas. Nous pouvons communiquer bien plus loin et plus rapidement. C’est un message: il faut regarder devant soi.
Qu’est-ce que Femmes au-delà des Mers évoque pour vous ?
Femmes au-delà des Mers évoque mon coté antillais. Ma mère est martiniquaise. Elle est née à Paris. Mes grand-parents venaient de Fort-de-France. Ma grand-mère maternelle a grandi dans le quartier du Trébaux.
Le 26 juin 2013 sera célébré le centenaire de la naissance de Césaire. Quel défi souhaiteriez-vous relever ? Quels sont vos rêves aujourd’hui?
Mon défi est de vivre ma vie honorablement et comme je l’entends. C’est un défi quotidien. Mon rêve est de réaliser mon premier long métrage de fiction. C’est un appel à ceux et celles qui écrivent. Je cherche des collaborateurs.
(1) Filmographie :
- Portrait of an Artist : Ray Grist ,1982
- Carnaval Foyal ,1983
- Denis A. Charles: une conversation interrompue,2002
- Luggage , 2007
- The Birthday Party/L’anniversaire, 2008
- Woman to Woman, 2012
Janvier 2013
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